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des vélums, de grands panneaux décoratifs en toile historiée, dont les motifs ornementaux sont empruntés à la peinture murale des temples antiques et des hypogées : on y reproduit, en couleur, les palmettes, les calices de lotus, les éperviers, les scarabées, toute la variété des dieux pharaoniques. Ailleurs, des ébénistes imitent le meuble européen, ou appliquent des incrustations de nacre sur des cadres de miroir, des fauteuils ou des étagères de style arabe très librement interprété.

Je l’avoue : je m’émerveillais de tout cela. Mais quand je manifestai mon admiration devant un cercle de Français, ce fut une risée générale. Quelqu’un me dit : « Vous n’avez donc pas regardé de près la camelote que ces gens-là vous livrent ? C’est bâclé, c’est fait sans soin, ni intelligence. Et leur incapacité se trahit dans les plus petites choses comme dans les plus grandes. Un faux-col que vous leur confiez vous revient plus sale qu’avant, jauni par toutes les boues du Nil. Une serrure qu’ils arrangent se détraque le lendemain, à moins qu’ils ne la rendent tout de suite hors d’usage. Le peu qu’ils savent, ils l’ont appris chez des patrons européens. Tant qu’ils restent sous leur surveillance, cela marche convenablement. Mais dès qu’ils s’établissent à leur compte, ou dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes, ils sabotent, ils gâchent la besogne, par stupidité, par paresse incurable !... » — « C’est comme pour mes maçons ! dit un ingénieur : quand je les ai employés six mois, ils sont à peu près au courant. La saison finie, ils rentrent dans leurs villages, et quand ils me reviennent, l’année suivante, ils ont tout oublié : c’est à recommencer ! Il faut les seriner encore une fois !... Les terrassiers, même chose ! Tout seuls, ils n’arrivent pas à tracer une ligne droite. C’est plus fort qu’eux ! La courbe est, pour un Arabe, le plus court chemin d’un point à un autre. S’ils ne sont pas encadrés par des Italiens, ils pataugent, se lancent à l’aventure. Inutile, de compter sur leur présence d’esprit ! Pas ombre de réflexion, ni d’initiative ! D’ailleurs, les Arabes n’ont jamais rien inventé ! » — « Pardon ! jeta un médecin, ils ont inventé le zir ! » — « Et encore, ça n’est pas sûr ! » ajouta un autre. Or l’invention du zir, qui est une espèce de gargoulette, ce serait tout juste, comme chez nous, celle du fil à couper le beurre...

Faisons la part du paradoxe : il est probable qu’il subsiste un fond de vérité dans ces propos désobligeans. Mais il n’en est pas