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les magistrats se rendront recommandables par la sagesse de leur conduite, que l’esprit de corps cédera en toute circonstance à l’intérêt public, que notre autorité, toujours éclairée sans être jamais combattue, ne se trouvera obligée dans aucun temps de déployer toute sa force, et que, par les précautions dont elle veut s’environner, elle n’en deviendra que plus chère et plus sacrée. » Espérance généreuse et vœu plein de candeur, dont un prochain avenir allait démontrer l’illusion.

Pour donner plus d’éclat à cette mesure réparatrice, le Roi s’était déterminé à déclarer ses volontés avec l’appareil solennel usuel dans les « lits de justice. » On désignait ainsi les assemblées, traditionnelles en France, où le souverain, venant au parlement, lui faisait connaître en personne son intention de promulguer une loi et ordonnait son enregistrement pour quelle eût toute sa force. Nos premiers rois, dans ces séances, occupaient un trône d’or ; on y substitua par la suite un vaste siège formé de cinq épais coussins et surmonté d’un dais, que l’on appelait jadis « un lit ; » d’où le nom de lit de justice donné par extension aux assemblées elles-mêmes[1]. Ce trône monumental, fabriqué sous Louis XII, était de velours violet, parsemé de lys d’or ; la salle entière était tendue d’étoffe également violette ; le Roi portait un habit de même nuance, avec des plumes blanches au chapeau.

Maurepas craignait que la timidité naturelle de Louis XVI ne paralysât ses moyens dans cette imposante circonstance. Il se rappelait Louis XV, si fortement impressionné quand il prenait la parole en public, qu’à peine pouvait-il balbutier quelques phrases inintelligibles. Il cita cet exemple à son royal élève : « Et pourquoi voulez-vous que j’aie peur ? » lui répondit Louis XVI. Maurepas, par précaution, lui fit pourtant répéter sa leçon, « en l’accompagnant d’un mouvement de la main comme pour marquer la mesure : « Trop vite, lui dit-il à la fin, on ne vous a pas bien entendu. — Vraiment ? reprit le Roi avec simplicité. Ah ! si j’avais la bonne grâce et la tenue du Comte de Provence, ce serait à merveille ! Mais, moi, je bredouille, et cela n’ira pas bien[2]. » Une plus sérieuse cause d’anxiété fut l’avis qu’on reçut, de sources différentes, que la salle du Palais où se tiendrait le lit de justice était minée et sauterait sous les

  1. Souvenirs d’un page, par le comte d’Hézeckes.
  2. Journal de l’abbé de Véri. — Passim.