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journal. Ce journal lui-même était très lu, jusque dans les faubourgs et dans les cafés de la dernière catégorie. Mieux, la propagande de Mustafa ne se limitait pas aux grandes villes égyptiennes, elle rayonnait dans toute l’Egypte, se prolongeait dans les autres pays d’Islam, jusqu’en Perse, dans l’Inde anglaise, et, — il faut bien le dire aussi, — en Tunisie et en Algérie[1].

Ces indices ne me semblaient pas, à moi qui les constatais journellement, aussi dénués d’intérêt qu’on se plaisait à me le répéter. Bientôt, les événemens le démontrèrent avec une inquiétante évidence. Il y eut d’abord l’alerte de Taba, la prise de possession par les Turcs d’un poste stratégique de la Péninsule sinaïtique. Pendant trois jours, ce fut une panique dans toutes les colonies européennes et dans les communautés chrétiennes du Caire et d’ailleurs. Cette panique était sans doute artificiellement excitée par la presse officieuse. Mais, tout de même, on n’était pas très rassuré. Mustafa Kamel triomphait. Déjà, il prophétisait l’arrivée sur la frontière égyptienne du corps d’armée de Damas renforcé ou appuyé par des auxiliaires allemands. Que deviendraient les 5 000 hommes de l’armée d’occupation aux prises avec des adversaires dix fois plus nombreux ? Ceux-ci assurément n’en feraient qu’une bouchée. Peu importait après cela que la flotte anglaise bombardât Alexandrie, Port-Saïd ou Suez !… Et puis tout ce grand tapage s’apaisa comme par enchantement, — pour renaître quelque temps après, avec la fameuse affaire de Denschawi. On se souvient de cet incident qui a produit quelque émotion en Europe. Pour venger des officiers anglais malmenés ou tués par des fellahs au cours d’une partie de chasse, le gouvernement britannique ordonna l’exécution immédiate des coupables. Cette mesure parut d’autant plus draconienne que les délinquans se prétendaient en état de légitime défense. Ce fut une clameur d’indignation dans toute l’Egypte. Les patriotes firent entendre ù, Londres d’énergiques doléances. Le ministère libéral, dans une certaine mesure, leur donna raison, et il en résulta que, l’année suivante, lord Cromer, instigateur de cette répression, dut abandonner son poste : retraite

  1. Durant l’été de 1906, Mustafa Kemel se plaignait amèrement que le résident de France à Tunis eût interdit son journal dans la Régence. Il était difficile de lui faire admettre que le point de vue français fût différent du point de vue musulman.