Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les deux termes sont nécessairement identiques. Il a su transmuter la substance de tout en substance poétique, ce qui est la condition expresse et première de l’art, l’unique moyen d’échapper au didactisme rimé, cette négation absolue de toute poésie. »

Pour Leconte de Lisle, l’art est la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure. Il sait que le poète doit réaliser sa vision interne dans la mesure de ses forces par la combinaison complexe, savante, harmonique des lignes, des couleurs et des sons, non moins que par toutes les ressources de la passion, de la réflexion, de la science et de la fantaisie. Il sent que toute œuvre de l’esprit dénuée de ces conditions nécessaires de beauté sensible ne peut être une œuvre d’art.

« Ainsi, quoi qu’on en puisse prétendre, la poésie, dit-il, est un art qui s’apprend ; elle a ses méthodes, ses formules, ses arcanes, son contrepoint et son travail harmonique. »

Quiconque ne satisfait pas à ces exigences, ne pourra, selon lui, être dit artiste ; le succès de ses productions, ni sa renommée, n’y changeront rien.

Une conception si juste de l’art devait rejeter de la façon la plus intransigeante toutes les prétentions et toutes les réserves qui risquaient de rétrécir le champ de cet idéal. De là vient la cinglante ironie avec laquelle Leconte de Lisle a raillé les partisans de ce que, avec les Parnassiens, Flaubert en tête, appelait « l’Art prêcheur »

« L’Art, écrivait-il, n’a pas mission de changer en or fin le plomb vil des âmes inférieures, de même que toutes les vertus imaginables sont impuissantes à mettre en relief ce côté pittoresque, idéal et réel, mystérieux et saisissant, des choses extérieures, de la grandeur et de la misère humaine… » Et il proteste contre l’ardeur « indécente et ridicule du prosélytisme moral, » de la manie qui veut transformer « en maximes, sentences et préceptes l’œuvre de beauté. » Il ne pardonne pas à Barbier d’avoir satisfait « à ce goût des vertueuses générations parmi lesquelles la nôtre tient la première place ; » il trouve que le poète satirique est un moraliste par excellence, pourvu qu’il ne s’abaisse pas au niveau « des excitateurs à la vertu : » « dès qu’il monte en chaire, l’artiste meurt en lui sans profit pour personne. »

Une autre fiction, pour laquelle cet amateur de beau absolu et d’idéal général qu’est Leconte de Lisle ne peut être tendre,