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y montre comment se forme lentement une âme européenne. Ce cosmopolitisme supérieur se réalise moins encore par les écrivains que par les peintres et surtout par les musiciens. C’est une des raisons de l’admiration fervente que M. Hallays a, un des premiers et constamment, professée pour Wagner. « Peut-être un jour les hommes feront-ils des pèlerinages pour honorer la mémoire des hommes qui auront préparé la venue des siècles moins barbares. Alors les lieux saints du monde nouveau seront la tombe de Beethoven à Vienne et celle de Richard Wagner à Bayreuth. » M. Hallays connaît l’histoire de l’art pour l’avoir étudiée, non pas seulement dans les livres, mais dans les musées, dans les églises, dans les palais, devant les ruines. Il sait l’histoire de la littérature française, comme un critique de profession : et le fait est qu’il a donné à l’excellente collection des « Grands Écrivains français » une de ses meilleures biographies, celle de Beaumarchais. Dans le commerce familier qu’il a noué avec nos maîtres, il est devenu leur disciple et vraiment il s’est formé à leur école. Bien d’ailleurs chez lui de scolaire, ni de pédantesque, ni de dogmatique. Au contraire, une indépendance d’esprit, une liberté d’humeur, qui ne partent aucunement du désir frivole d’arborer des opinions singulières, mais de la volonté bien arrêtée de n’exprimer que des jugemens personnels.

Un esprit de si fine culture et d’instruction si solide, dans ce temps d’ignorance prétentieuse et bruyante où nous vivons, ne peut manquer d’être choqué de beaucoup de choses. Ce qu’il aperçoit d’abord dans son époque et qui lui semble en être la caractéristique, c’est la sottise satisfaite, la vulgarité qui s’étale, le cabotinage qui s’exhibe, la fureur réclamiste qui bat les cymbales et la grosse caisse. Et de tous les spectacles dont s’amuse sa badauderie c’est encore celui qui lui semble le plus comique. Il se donne le plaisir de railler cette extravagance. Pour se séparer de cette cohue et pour se défendre de son contact, quelle protection meilleure que celle de l’ironie ? M. André Hallays a défini cette ironie qui n’est ni le vain persiflage, ni la moquerie sceptique et desséchante, mais un masque et une arme. « Il faut aimer, entre tous, les écrivains capables de conserver le sens de la nuance, le goût de la réticence, la fantaisie de l’allusion. On a tellement abusé du mot propre, qu’il ne signifie plus rien. C’est pourquoi, au milieu de l’ignoble tumulte que font, soir et matin, les gens qui hurlent la certitude et glapissent la vérité, il est délicieux d’entendre soudain le son d’une voix ironique capable de moduler, avec un accent moins inhumain, ses doutes, ses mépris et ses colères. »