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à la vie, comme un symbole du développement suprême de l’âme. Il est remarquable qu’entre tous les musiciens qui ont écrit sur Faust, le seul Schumann se soit attaché au seul épisode où la musique fût nécessaire, et qu’il l’ait élu avant tout autre. La Transfiguration de Faust, composée en 1844, exécutée en 1849 à l’occasion du centenaire de Goethe, semble même avoir été l’effort qui lui coûta définitivement la santé, et si vite la vie[1]. Elle a plus de clarté que les autres Scènes de Faust, qui datent de 1849, 1850 et 1853. Dans cette fresque pas trop bien composée, fragmentaire, et qui se répète un peu, l’invention brille de fraîcheur et de sincérité : majestueux cantique des forêts, des rochers et des eaux ; extases qu’enfièvre l’insistante caresse du violoncelle, ou qu’épure le cristal de la harpe et du hautbois ; rondes séraphiques rythmées sur des rires d’enfans ; parfums de roses angéliques ; universelles méditations : tout concourt à l’allégresse du salut.


On ne peut s’empêcher de redouter la comparaison avec cet ouvrage pour celui de Berlioz, dont la forme est analogue, et la destination pareille. Ce n’est pas que la Damnation de Faust ne contienne des beautés en plus grand nombre peut-être, et plus fortes, et plus achevées : mais rien qu’au choix des épisodes et au lien de l’ensemble, on connaît la différence des natures, on mesure l’inégale portée des esprits. La Damnation est une suite de tableaux étincelans, si vigoureux, si divers, qu’on n’en saurait trouver d’égale : plusieurs atteignent la perfection. Mais cette œuvre, entre toutes celles de Berlioz la favorite, fut aussi de toutes la moins pensée. Il faut le dire à sa décharge : Berlioz n’eut du chef-d’œuvre de Gœthe qu’une révélation très incomplète, puisqu’il ne devait connaître que la traduction de Gérard de Nerval, où le Second Faust n’existe pour ainsi dire pas. Dans le premier transport[2], il composa et fit graver à ses frais Huit scènes de Faust : ce n’étaient que des hors-d’œuvre du poème, tels que chants de Pâques, concert de Sylphes, chœurs de paysans, chansons du Bat, de la Puce, du Roi de Thulé, etc.

  1. Voyez : Schumann et ses œuvres, par Louis Schneider et Marcel Mareschal.
  2. « Le merveilleux livre me fascina de prime abord ; je ne le quittai plus ; je le lisais sans cesse, à table, au théâtre, dans les rues, partout. » (Mémoires de Berlioz.) A la même époque, il voulut aussi composer un ballet sur Faust, dont le livret, en trois actes, par Bohain, fut même reçu à l’Opéra.