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de l’auditeur. La musique insinue en nous, quand nous l’écoutons, une personnalité nouvelle ; s’empare de notre pensée et de nos sentimens ; les dirige suivant la pensée et les sentimens du compositeur : elle devient notre propre vie intérieure.

Certes il restera toujours impossible d’abstraire la musique de l’esthétisme de ses lignes, de ses couleurs, de sa construction immatérielles ; de tout ce qui fait d’elle, à bien meilleur titre que la poésie, un art. Il restera impossible de soustraire nos sens à l’emprise de sa beauté. Mais il est également impossible de négliger sa signification directe et profonde, qui la place au-dessus des autres arts. Ces deux élémens concourent à sa perfection : le second n’y est pas moins nécessaire que le premier ; même il semble qu’il doive le précéder et le conduire.

Beaucoup de personnes se refusent cependant à une conception de la musique qui a été, plus ou moins consciente, celle de tous les compositeurs dont l’œuvre a véritablement vécu. C’est celle d’un avenir pour lequel Beethoven s’imaginait ne laisser que « quelques notes, » en précurseur. Nous y allons d’un pas inégal. Mais c’est un pas qu’on n’arrête point. « Progrès » n’a de sens en art qu’à la condition qu’on ne le prenne pas toujours pour synonyme d’amélioration : encore moins, de détachement du passé. Celui qui marche quitte souvent les plus beaux paysages, les chemins les plus doux, pour des passages ingrats. Il peine le long de pentes arides et sans vue ; chancelle sur des cailloux roulans ; de ténébreux chaos l’égarent ; des plaines vides le harassent : mais plus loin, de jeunes eaux sourdent à l’ombre des pins ; plus haut, la prairie est comme un ciel de fleurs ; et la gorge ardue aspire à des horizons vierges. Quand ils seront conquis, s’ils vous laissent regretter les sites dépassés, qui vous empêchera d’y retourner à tout instant rafraîchir vos espoirs et vos forces ? Ils sont toujours à vous.

Quant à une autre conception, trop usuelle, selon laquelle la musique ne serait qu’un excitant du système nerveux, amenant l’hypnose ou des visions, il faut la laisser aux personnes qui n’entendent pas la musique.


Un drame tel que celui de Faust, qui n’est, à le bien voir, qu’une personnification de la vie intérieure, ne convient pas seulement à la musique : il l’appelle. Il l’appelle pour donner à tous ses élémens une vie explicite : à ses personnages, que leur