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Ce Faust a des clartés de conscience : il hésite entre des ambitions très hautes, et la passion que lui inspirent tour à tour la tendre Röschen et l’altière Künigunde. Ainsi apparaît, avant même que Goethe ait publié l’épisode d’Hélène, l’idée indispensable d’une double forme de l’amour, toute cordiale d’une part, de l’autre plus esthétique et plus intellectuelle.


Lorsque Goethe envisageait la possibilité qu’on mît en musique quelque épisode de son chef-d’œuvre, c’était surtout à celui d’Hélène qu’il pensait : il l’eût volontiers confié à Rossini, disait-il. La musique, — une tout autre musique que celle de Rossini, — pourrait être en effet le véhicule de cet étrange voyage dans le temps, qui fait simultanées les amours de Gretchen et d’Hélène, comme Francfort et Sparte le sont dans l’espace. Elle donnerait un corps à cette déconcertante chimère. Avec moins de symbolisme littéraire, et plus de symbolisme sentimental, elle ferait sentir comment ces deux amours se complètent et s’attirent pour parachever l’âme de Faust, sortie du néant de la science et de l’orgueil.

Un seul compositeur s’est donné l’air de suivre le plan de Goethe, a prononcé le nom d’Hélène, et ramassé les deux Faust en un seul opéra. Pure vanterie. Mefistofele ne contient, au vrai, rien d’aucun des deux Faust ; et toutes ses prétentions cachent mal les défauts de l’opéra italien moderne. C’est toujours le même art, un peu fardé, tout en façade, courtisan de la foule sous sa mine expansive. Le livret n’est en somme que celui de Jules Barbier et Michel Carré, débarrassé sans doute de ses plus voyantes trahisons, mais poussé à l’extrême du sommaire et du décousu, afin qu’y trouvent place le Prologue dans le ciel, et deux scènes du Second Faust. Faust s’efforce de retrouver des andante de Beethoven ; Marguerite semble préférer Adolphe Adam ; Hélène cultive la canzonetta napoletana. Quelques récitatifs, quelques rappels de thèmes ont pu se faire traiter de wagnériens, il y a trente ans : il y a soixante ans, Donizetti eût été jaloux de certains unissons vocaux. Avec de la bonne volonté, on peut reconnaître du mouvement, un peu de couleur aux tableaux de foule : dimanche populaire, ou nuit de Walpürgis. Il ne faudrait point parler de cet ouvrage intelligent, mais d’une intelligence courte, s’il n’avait tenu une place sur de nombreuses scènes, et