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exactement les domaines respectifs de la musique et de la littérature, puisqu’elles ne peuvent pas toujours exprimer les mêmes choses, et qu’en tout cas elles expriment les choses de façon opposée. La musique est impuissante devant l’idée qui ne s’associe pas à un sentiment : la poésie n’atteint que par de longs détours le sentiment que la musique évoque directement. En dehors de compositions très courtes, telles que le lied, où une correspondance parfaite peut se rencontrer, modeler une œuvre musicale sur une œuvre littéraire déjà existante, conçue pour des besoins différens par un esprit différemment construit, c’est une tâche illogique et impossible. On objectera les Noces de Figaro… et Pelléas : exceptions qui se produisent une fois tous les deux siècles, et de celles, si on les examine de près, qui confirment vraiment la règle. Et la règle, c’est que de cette alliance apparente, qui n’est qu’un antagonisme, de la musique avec la littérature, l’une au moins sortira diminuée et se renonçant elle-même.

Mais la musique peut exprimer à sa manière, dans une forme qui lui soit propre, la même pensée qu’une œuvre littéraire. Cette pensée se trouvera comme traduite en deux langues différentes. Et s’il faut, dans les cas où la musique ne suffit pas à sa propre clarté, que les deux traductions se superposent, ce n’est pas une raison pour que la musique se fasse servante de la parole, — comme Gluck l’a presque indiqué, — ni d’autre part pour que la parole s’avilisse devant la musique. Il faut que la parole, se mettant d’accord au fond et dans la forme avec la condition tout entière de la musique, devienne elle-même musique, expression d’une harmonie supérieure, devant laquelle finira probablement par disparaître l’harmonie rudimentaire du vers.

Le cas du musicien qui se fie, pour préparer cette métamorphose, à un littérateur, semblera un jour aussi bizarre que celui d’un peintre qui exécuterait son tableau sur le crayon d’un autre dessinateur. Encore ne trouverait-on pas un dessinateur aussi étranger au sens de la couleur, que certains poètes peuvent l’être au sens de la musique : par conséquent, aux combinaisons spéciales de la parole qui s’adaptent à la musique.

Wagner a laissé l’exemple de ce qu’un homme pouvait créer à lui seul ; de l’unité où pouvaient tendre la parole et la musique inséparablement confondues ; des formes amples et souples où la musique, par l’art du musicien-poète, se déploierait à l’aise. Cet exemple n’est point parfait, parce qu’il vint le premier, et