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Europe son emploi va se porter sur les mers et vers la conquête économique. Une nouvelle génération monte qui n’a pas pris part aux grands triomphes militaires dont l’Empire est sorti ; elle a trouvé l’unité toute faite ; elle cherche ses succès dans d’autres voies. Guillaume II est l’homme représentatif de cette génération. Les ancêtres, qui ont forgé l’Empire par le fer et par le feu, l’Empereur, dans ses discours, les célèbre comme des paladins ; il les compare aux héros des Niebelungen ; il ne manque jamais de fêter leurs anniversaires, il inaugure leurs statues ; il leur voue un culte comme aux dieux tutélaires de l’Empire ; mais il les relègue dans l’histoire ; et, s’ils s’obstinent à survivre quand leur heure est passée, si grands qu’ils aient été, leur disgrâce précédera leur mort.

Bismarck lui-même, si hanté qu’il ait été, selon le mot de Schouvaloff, par « le cauchemar des coalitions européennes, » engagea son pays dans la voie des acquisitions coloniales. De 1884 à 1888, il prit son lot dans le partage du monde, et ce lot ne fut pas le meilleur. L’Angleterre fit d’abord bon visage à ce nouveau venu dans la politique d’expansion coloniale ; elle ne vit pas en lui un concurrent dangereux, mais plutôt un allié qui l’aiderait à contenir les ambitions françaises. Avec Guillaume II, tout allait changer. On le dépeignait, avant son avènement, belliqueux, disciple docile de Bismarck : il fut un pacifique, congédia Bismarck et se voua à l’expansion commerciale et économique. L’œuvre achevée en Europe, il n’y a plus qu’à la conserver, à l’empêcher de se lézarder, mais il faut chercher au loin des débouchés pour les produits de l’industrie qui grandit et des terres pour le surcroît de la population. Dans la conception de l’Empereur, il n’y a pas, entre sa politique et celle de son grand-père, une différence de nature, mais seulement une différence de moyens. Cela, Guillaume II l’affirme à chaque instant dans ses discours :

« Notre avenir est sur l’eau ; plus les Allemands s’en iront sur l’eau… mieux cela vaudra pour nous : car lorsqu’une bonne fois l’Allemand aura appris à voir loin et grand, il sera moins préoccupé par les petits soucis de la vie quotidienne… Nous avons tiré les conséquences de ce que nous ont laissé, comme leur œuvre personnelle, l’empereur Guillaume le Grand, mon immortel grand-père, et le grand homme dont nous venons d’inaugurer le monument (Bismarck) ; ces conséquences sont que