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Napoléon, l’Angleterre sous Victoria ; mais jamais elles n’ont exercé une direction réelle, permanente, effective sur les autres nations. Dans ce qu’on a appelé « l’Europe, » la notion d’équilibre remplace celle d’hégémonie. En ressuscitant l’Empire, l’Allemagne a fait revivre en même temps quelque chose de l’idée impériale du moyen âge ; on la retrouve, en combinaison intime avec les préoccupations les plus modernes et les plus réalistes, dans l’esprit et dans les discours de Guillaume II. Lorsqu’il a convié les nations à s’unir pour sauver contre le Bouddah menaçant « leurs biens les plus sacrés, » lorsqu’il a envoyé son feld-maréchal comte de Waldersee pour conduire à Pékin les troupes alliées, Guillaume II s’est posé en chef de la Chrétienté ; il a fait, au sens ancien du mot, un geste d’Empereur.

Cette idée d’une Germanie régnant par la force, mais se servant de sa force pour instaurer une forme supérieure de civilisation élaborée par le génie germanique, les Allemands la trouvent dans leurs grands philosophes. Depuis Hegel jusqu’à Nietzsche, toute une lignée de penseurs ont établi la métaphysique de la force bienfaisante et de la guerre créatrice d’ordre et de progrès. Cette conception, dont Wagner a été le chantre et Bismarck le réalisateur, s’est répandue, par les professeurs des Universités, jusque dans les masses profondes du peuple. Par les bataillons et les cuirassés allemands, par le commerce et la navigation doit s’étendre et s’épanouir l’empire de la « Wissenschaft » et de la « Cultur » germaniques.

Telles sont les forces et les conceptions qui allaient se trouver en contact et entrer en conflit avec la suprématie économique et maritime de la Grande-Bretagne.


II

Les conditions dans lesquelles vivent et se développent la Grande-Bretagne et son empire sont uniques dans le monde ; elles pèsent d’un poids déterminant sur ses relations avec les autres Etats. Si connues qu’elles soient, on est obligé de les rappeler lorsqu’on se propose d’expliquer les origines et les phases de la rivalité anglo-allemande. La transformation de l’Angleterre, commencée au milieu du XVIIIe siècle, est aujourd’hui complète ; c’est sans doute la plus absolue, la plus profonde, la plus radicale, et aussi la plus rapide qu’on ait jamais