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L’Allemagne, moins encore que l’Angleterre, a intérêt à la guerre ; pour être grande en Europe, elle n’a qu’à conserver, à maintenir ; hors de chez elle, pour son expansion économique déjà si brillante, elle n’a besoin que de paix et de « porte ouverte ; » sa production industrielle s’accroît, sa population essaime, son « déficit alimentaire » grossit ; elle a besoin de débouchés, non de conquêtes ; elle a déjà, chez elle, trop de populations réfractaires à la germanisation. En outre, elle est travaillée par des courans politiques libéraux et démocratiques dont certains incidens récens ont révélé l’intensité. Voilà pourquoi l’Empereur, dont l’Allemagne vient de célébrer avec enthousiasme le cinquantième anniversaire, le maître de la plus grande et de la plus forte armée qu’on ait jamais vu, est en même temps le plus pacifique des souverains. Il en a donné, depuis trente ans, assez de preuves pour qu’il ait le droit d’être cru lorsqu’il le proclame. Il ne tirerait l’épée que le jour où il croirait menacé l’héritage qu’il a reçu de ses pères, ou le jour où il verrait se fermer les débouchés nécessaires à la vie de l’Allemagne industrielle et commerçante. Les guerres d’hégémonie politique ne sont plus de notre temps ; l’Europe, en créant un système nouveau d’alliances, d’ententes et d’accords qui a fait ses preuves dans la bataille diplomatique d’Algésiras et, depuis, dans diverses circonstances, a manifesté sa résolution d’établir l’équilibre sur la parité des droits de chacun et de rejeter toute suprématie indiscrète ; des faits très récens prouvent que l’Allemagne l’a compris et, pour l’avoir admis, elle n’a rien perdu de son prestige, mais elle a regagné des sympathies que son intransigeance avait éloignées.

La sagesse des rois, la volonté des peuples, voilà donc quelques-unes des raisons qui maintiennent la paix. Une guerre serait, dans l’état actuel de l’Europe, un si formidable cataclysme que personne n’ose en prendre la responsabilité et s’exposer à la réprobation universelle ; même pour le vainqueur, la guerre entraînerait une terrible crise financière et économique ; le concurrent est en même temps un consommateur et il n’est pas prouvé que sa ruine serait avantageuse au producteur ; ainsi s’établit entre tous les peuples civilisés une solidarité d’intérêts qui l’emporte sur leurs rivalités. L’Angleterre et l’Allemagne, en particulier, sont actuellement en présence de déficits formidables qui exigent des impôts nouveaux ; le