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encore dominante. Là où Gobineau demandait de longs siècles pour expliquer la décadence d’une civilisation aryenne par l’effet délétère du mélange et des mésalliances matrimoniales, quelques générations suffisent à son continuateur, appuyé sur la sélection pour rendre compte de la même déchéance[1]. Un Walpole qui parcourrait aujourd’hui comme il y a cent cinquante ans les campagnes de France, en observateur avisé et sagace, reverrait souvent les mêmes bâtimens agricoles qu’au XVIIIe siècle : il retrouverait parfois les mêmes costumes, entendrait les mêmes locutions. Et pourtant, ce serait un autre peuple qui s’agiterait sous ses yeux, une race différente par sa structure physique et par ses tendances morales. On croirait lire un conte d’Hoffmann lorsqu’on voit affirmer cette rapide et entière substitution d’un peuple à un autre, dont il conserve le nom, le patrimoine, et même, pendant quelque temps, la réputation. Ainsi, à la faveur de la tourmente révolutionnaire, des serviteurs purent entrer dans la peau de leur maître, des hommes s’incarner dans un personnage féminin[2]et tenir durant de longues années la position sociale de gens disparus sans retour ! Une telle conviction prépare les esprits qui en sont pénétrés à l’acceptation du miracle !

C’est en effet un miracle en sens inverse, un prodige de restauration et de rajeunissement que M. de Lapouge entend demander à la sélection, trop longtemps coupable de désordre, et de perversion. Les péchés de la sélection sociale naturelle à l’égard de l’Aryen, ce favori du ciel, seront rachetés par les mérites de la sélection sociale artificielle, de la sélection

  1. M. Ammon, de Carlsruhe, a montré par des calculs très précis combien rapidement un groupe humain, égal en nombre à un autre groupe au début d’une période historique donnée, peut se substituer à ce dernier si une cause quelconque, — natalité plus forte ou mortalité plus faible, — lui assure une légère supériorité d’accroissement. Soit, par exemple, quatre enfans par ménage d’un côté et trois seulement de l’autre ou trois victimes de la guerre d’une part et quatre d’autre part ; au bout de trois cents ans le groupe favorisé représentera déjà 93 p. 100 de l’ensemble humain. (Die natuerliche Auslese beim Menschen, Iéna, 1893, p. 3. ) M. Ammon a marché dans la même voie que M. de Lapouge et apporté plus d’une contribution intéressante à l’anthropologie politique. Toutefois, beaucoup moins décidé et tranchant que le savant français dans ses conclusions aryanistes pour l’Europe, il a été bien moins écouté et suivi au-delà du Rhin. (Voyez son livre Die Gesellschaflsordnung traduit en français sous le titre d’Ordre social, Fontemoing, 1900. )
  2. Voyez la très curieuse étude de M. G. Lenôtre sur la prétendue demoiselle Savalette de Lange. (Vieilles maisons, vieux papiers.)