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ma sœur et moi, et à mesure que nous avancions, nous nous la serrions mutuellement. Ce langage muet nous exprimait ce qui se passait en nous. » On les conduisit au palais Chépelef où l’Impératrice avait fixé leur résidence provisoire. Elle-même s’y était transportée pour les recevoir. « Elle nous attendait dans nos chambres avec une dame d’honneur dont j’ai oublié le nom et un M. Zouboff, auquel je dois beaucoup de reconnaissance parce qu’il m’a tirée d’un cruel embarras, ce que je m’en vais vous dire. M. Narichkine, le grand maréchal, me donne le bras et nous sommes précédées par deux gentilshommes de la Cour. Ils nous font traverser quelques chambres ; nous arrivons à une porte fermée ; elle s’ouvre ; ma sœur Frédérique et moi, nous entrons ; on referme la porte sur nous. C’était la chambre où l’Impératrice nous attendait. Je la vois ; j’avais envie de croire que c’était elle ; mais, comme je ne la croyais pas là, je ne voulais pourtant m’avancer vers elle, craignant que ce ne soit quelqu’un d’autre. Dans le premier moment, je ne l’ai pas bien regardée ; j’aurais dû pourtant la reconnaître, ayant vu tant de ses portraits. Enfin, je reste comme pétrifiée un moment, lorsque je vois aux lèvres de ce M. Zouboff qu’il dit : « C’est l’Impératrice, » et, en même temps, elle s’avance vers moi, en me disant : « Je suis enchantée de vous voir. » Alors, je lui baise la main. »

Les princesses s’endormirent ce soir-là, véritablement éblouies par ce qu’elles avaient vu de la Cour de Catherine dès leur arrivée. L’Impératrice revint le lendemain, et elles furent bientôt sous le charme. « Elle a l’air si bonne, et je ne peux pas dire comment, mais elle me plaît. » Puis, toute une journée fut consacrée « à façonner leurs cheveux à la mode de la Cour et à les habiller en robes russes. »

Entre temps, on les menait à Gatchina, chez le grand-duc Paul, père d’Alexandre. « Il nous reçut fort bien. La grande-duchesse m’accabla de caresses ; elle me parlait de ma mère, de ma famille, des regrets que je devais avoir eus de les quitter. Cette manière d’être lui gagna toutes mes affections. » Ce même jour, la princesse Louise vit pour la première fois le prince qu’elle pouvait considérer déjà comme son futur époux, et son frère cadet, le grand-duc Constantin. Mais cette première entrevue fut glaciale : « Je regardai le grand-duc Alexandre avec autant d’attention que la bienséance le permettait ; je le trouvai très bien, mais pas aussi beau qu’on me l’avait dépeint. Il ne