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mais à la volonté d’arriver, sa vie tout entière. Elle sacrifie Dick à son ambition têtue et vaine. La lumière s’éteint dans l’âme du jeune homme et dans son cœur avant de s’éteindre dans ses yeux. L’amour a désarmé ce lutteur intrépide ; il a terrassé cette volonté, hardie jusqu’à la provocation et à l’insolence. C’est qu’elle ne se rattachait, hormis l’amour, à rien de plus grand qu’elle-même et ce n’était pas assez. Dick devient aveugle ; il est abandonné et, suprême ironie de l’amour à son égard, victime d’une féroce et stupide vengeance. Une fille qu’un de ses amis avait recueillie par pitié et dont il a déjoué l’intrigue, contrarié la sensuelle passion, efface sur la toile sa dernière œuvre, créée dans l’agonie de ses yeux, le chef-d’œuvre où il a tenté de réaliser son suprême rêve de peintre avant de sombrer dans la nuit. Dès lors ce vaincu de la vie n’aspire plus qu’à mourir en buvant une dernière fois à la coupe où il s’enivra si fortement, la coupe de l’action, de la bouillonnante énergie, des audaces et des périls. L’auteur de cette œuvre violente et tendue, en nous faisant voir dans une telle destinée une faillite tragique, ne nous laissait-il pas pressentir qu’il n’avait pas dit son dernier mot ?

Oui, son premier mot était l’action. Elle est la nécessité primordiale, elle est le seul moyen que nous ayons d’utiliser la vie : « Play the gaine, don’t talk. » Soyez à votre jeu et trêve de bavardages. L’homme agit, l’enfant se prépare à agir ou déjà, nous l’avons vu, agit lui-même. Mais l’action n’est pas le but, la fin dernière ; elle ne se suffit pas. Ce n’est pas l’énergie seule qui importe, c’est l’énergie organisée. Rappelons-nous les soldats de M. Rudyard Kipling, rappelons-nous ses collégiens : au-dessus d’eux il y a le régiment et le collège. A mesure qu’il avance, il s’attache à pénétrer les lois de la vie collective. Le sens de l’énergie devient une philosophie de l’action.

Elle plonge ses racines dans la nature même, qui prend ainsi, aux regards de M. Rudyard Kipling, son plus grand intérêt. La nature, en effet, n’est pas pour lui un simple enchantement des sens. Nous sommes étonnés du peu de place que tient la beauté du monde dans l’œuvre de ce voyageur infatigable qui a couru toutes les mers et vu tous les pays. Non certes que cette beauté lui soit indifférente : il n’y a pas d’yeux plus attentifs aux images ni où elles se gravent avec une précision plus indélébile. Mais il n’a point le goût, il n’a point le loisir de s’abandonner aux passives délices de sentir. Il voit le monde à la fois comme un