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travail adaptés à leurs besoins, s’ils parviennent en grand nombre au même résultat ? Tout cela n’empêche pas d’ailleurs qu’il y ait beaucoup de déchet, si l’on peut ainsi parler, que beaucoup d’aveugles soient incapables d’un développement normal. La cécité n’en est pas cause, l’expérience le démontre ; ce sont les maladies qui souvent accompagnent la cécité. Bien plus, ce déchet augmentera peut-être encore dans l’avenir. En quelques endroits déjà, on a cru reconnaître (peut-être à tort d’ailleurs) que le niveau intellectuel moyen paraît fléchir chez les aveugles. Dans ces dernières années, les progrès réalisés par la prophylaxie de la cécité ont permis de sauver certains malades qui, autrefois, n’auraient probablement pas échappé au mal. Ils en sauveront bien davantage dans la suite. Tout le terrain ainsi gagné sera reconquis sur des affections bien localisées qui n’intéressent que l’œil, en particulier sur l’horrible ophtalmie des enfans. Aussi dans les générations d’aveugles qui monteront à la vie intellectuelle, on trouvera sans doute une proportion de plus en plus forte de malheureux dont la vue aura sombré dans quelqu’une de ces maladies profondes qui affectent le cerveau et le système nerveux. Dieu nous garde de nous plaindre jamais de ce fléchissement intellectuel, si telle en est la cause. De tous nos vœux, nous appelons le temps, hélas lointain ! où les oculistes ne permettront qu’aux idiots seuls de perdre la vue. Si jamais ce jour-là venait, encore faudrait-il bien savoir que ce n’est pas la cécité qui engendre l’imbécillité, mais que cécité et imbécillité procèdent l’une et l’autre d’une cause plus profonde. Dès aujourd’hui, il importe de ne pas l’oublier, et, si l’on rencontre quelque aveugle d’une pauvre mentalité, de résister à la tentation de juger les autres aveugles par lui.

Sans doute une grande difficulté subsiste, et comme nous avons signalé les avantages dont l’aveugle bénéficie peut-être, il faut l’indiquer à son tour : la documentation lui est beaucoup plus malaisée que pour le clairvoyant, elle risque toujours d’être un peu pauvre. Les livres sont moins à sa disposition. Ils le sollicitent moins à la lecture. Beaucoup ne sont accessibles que par l’intermédiaire d’un clairvoyant. Autrefois cette difficulté était moins sensible parce qu’il était nécessaire de lire beaucoup moins qu’aujourd’hui. La transmission des connaissances se faisait plus par voie orale. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, cette infériorité ne me semble pas avoir de grandes conséquences. Les