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La Furie nous a donné une fois de plus l’occasion d’applaudir M. Paul Mounet, toujours magnifique dans ces rôles de demi-dieux ; Mme Segond-Weber a retrouvé pour le personnage de Lyssa quelques-unes des attitudes et des intonations si admirées naguère dans le rôle de Guanhumara. Le rôle de Lycos n’est sûrement pas un bon rôle. Le tyran qui menace d’occire les petits enfans, même s’il est amoureux, ne saurait être un personnage sympathique. M. Albert Lambert a fait tout son possible pour le « sauver. »


Ce qui fait trop souvent défaut à l’auteur de la Furie, c’est le don de l’expression poétique ; et c’est celui que possède, avec une richesse qui va jusqu’à l’opulence, l’auteur de la Route d’Émeraude. Il y a dans toutes les œuvres de M. Richepin une abondance de verbe, une exubérance d’images, une truculence de coloris, une virtuosité de versification, dont lui-même s’enchante et à laquelle l’auditeur ne résiste pas. Il se soucie moins de nous présenter une œuvre d’une trame très serrée que de semer le canevas de mille broderies. C’est le cas pour sa pièce nouvelle. Nous y trouverons plus de fantaisie brillante que de logique impitoyable. S’inspirant d’un roman où M. Demolder évoquait un coin de la Hollande au XVIIe siècle, le poète en a librement tiré un drame d’allure capricieuse où il a mêlé plusieurs genres, parce que cela l’amusait ainsi.

La pièce commence en comédie historique et tableau de mœurs. Nous sommes au pays des moulins et précisément dans un moulin. Le père Balthazar est meunier, et, à l’entendre, le métier de meunier serait le premier métier du monde. Nous sommes tout près de l’en croire, sur la foi du couplet éloquent que M. Richepin met dans la bouche de ce brave homme. Au surplus, nous sommes gagnés d’avance à la poésie des moulins hollandais : en passant au bord des canaux devant le moulin aux grandes ailes, nous avons tous, ne fût-ce qu’un jour, imaginé qu’il devait faire bon vivre là, à condition qu’on n’eût pas de rhumatismes. Comment se fait-il que cet honnête meunier ait couvé un apprenti peintre ? Mais les hommes ne résistent pas plus à certains courans, que les ailes du moulin à la force souveraine des vents. Le génie de la peinture souffle partout sur cette Hollande du XVIIe siècle. C’est la Hollande de Rembrandt, de Franz Hals, de Jean Steen, de tous ces maîtres, amoureux de leur pays, passionnés des choses de chez eux et à qui il suffit, pour faire un chef-d’œuvre, d’une plaine humide sous les nuages bas ou du portrait d’un bourgeois à son comptoir. C’est le siècle où, d’une ville à l’autre, les écoles rivalisent :