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faut donc que je finisse ma lettre, afin que tu la reçoives tout de suite ! Sois calme, ce n’est que par une contemplation tranquille de notre sort que nous pourrons atteindre notre but, qui est d’arriver à vivre ensemble ! Sois calme ! — Aime-moi ! — Aujourd’hui, — hier, — quelle aspiration tout arrosée de larmes vers toi ! — Vers toi, — vers toi, — ma vie, mon tout ! — Adieu, — oh ! ne cesse pas de m’aimer ! ne méconnais pas le cœur fidèle de ton aimé.

L.

Éternellement à toi
Éternellement à moi
Éternellement à nous.


J’ai dit tout à l’heure que cette lettre avait été « envoyée » à sa destinataire : le contenu de la lettre nous le prouve assez. Mais sans doute la fiancée de Beethoven, — lorsque celui-ci, en 1810, a définitivement renoncé à ses rêves de mariage, — sans doute elle a dû lui rendre les lettres qu’elle avait eues de lui, en échange des siennes ; et, de même qu’elle semble bien avoir détruit jusqu’au moindre des souvenirs de son roman d’amour, il est probable aussi que Beethoven, de son côté, a jeté au feu la nombreuse série de ses propres lettres, — à l’exception d’une seule, qui lui aura paru trop imprégnée du plus pur sang de son cœur pour qu’il pût se résigner à l’anéantir. Toujours est-il que c’est chez lui, au lendemain de sa mort, que ces feuillets jaunis et froissés ont été découverts, pieusement cachés au fond d’un tiroir secret, en compagnie d’une petite liasse d’obligations et de titres de rente qui constituaient l’unique chose un peu précieuse qu’il possédât au monde.

La lettre ne portait point d’adresse, ni aucune indication du nom de la ville d’eaux d’où elle était écrite, non plus que de l’année de ce « lundi 6 juillet » qui se lisait en tête du second morceau : autant de mystères qu’on ne pouvait manquer de vouloir éclaircir. Mais aussi bien, le plus ancien des biographes de Beethoven, Schindler, qui avait été son confident le plus familier durant les dernières années de sa vie, se prétendait-il, tout de suite, en état de tout expliquer. La destinataire de la lettre, d’après lui, était cette belle Giulietta Guicciardi, devenue plus tard la comtesse Gallenberg, à qui le maître avait dédié sa rêveuse et poétique sonate du Clair de Lune. Souvent Beethoven avait parlé à son compagnon de l’ardent amour qu’il avait autrefois ressenti pour cette jeune élève, venue d’Italie à Vienne vers l’année 1800, ainsi que du coup terrible qu’avait été pour lui, en 1803, la nouvelle du mariage de Giulietta avec l’imprésario et compositeur de ballets Robert de Gallenberg ; récits que confirmait encore une lettre du