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en vertu du droit commun, des titres imprescriptibles sur ses œuvres, puisque au contraire le souverain, par un exemple unique dans l’histoire, leur en faisait cadeau, ni qu’un libraire pût acquérir une propriété permanente, puisque l’Etat ne la reconnaissait pas et lui était même si opposé, qu’en 1777, lorsqu’on édicta le principe de la propriété littéraire indéfinie, on y mit cette condition que l’auteur et sa postérité directe l’exploiteraient en personne. Cette propriété ne durerait que dix ans et prendrait fin au plus tard avec la vie de l’auteur, s’il l’avait cédée à un libraire.

Les inspirateurs de la mesure nouvelle faisaient valoir « qu’une jouissance limitée, mais certaine, est préférable à une jouissance indéfinie, mais illusoire. » Assez illusoire en effet était le « privilège ; » la contrefaçon était depuis longtemps tolérée, sinon admise, et loin de songer contre elle à des poursuites chimériques pour le passé, on décida que tous les livres contrefaits, existant à cette date (1777), seraient estampillés, pour empêcher qu’il n’en fût imprimé de nouveaux à l’avenir.

La contrefaçon, ainsi officiellement reconnue et sanctionnée, ne s’attaquait pas à tous les livres ; à preuve le prix de vente de certains fonds de librairie payés plus ou moins cher, non seulement d’après le nombre des volumes en magasin, mais suivant les profits à attendre de leur réimpression ultérieure : à la mort du premier Didot, sa veuve vendit 230 000 francs le Manuel Lexique de Prévost, le Dictionnaire de Ladvocat et celui de Vosgien. Quand l’auteur était demeuré détenteur de son œuvre, comme Boudot de son Dictionnaire latin-français dont il lui restait pour 1 200 francs d’exemplaires à sa mort, ses héritiers purent tirer 48 000 francs de la cession de cet ouvrage, trente fois réimprimé depuis son apparition en 1704 jusqu’en 1825. Les livres coûteux à établir, dont l’édition mettait dix ans à s’épuiser, ne tentaient guère la concurrence.

Seul d’ailleurs le libraire s’intéressait réellement à la propriété littéraire. Par suite du système des traités à forfait passés avec les auteurs, ceux-ci demeuraient indifférens à la paisible jouissance de leur acquéreur. Etaient-ils exploités par leur éditeur comme une légende persistante porterait à le croire ? « Les libraires, disait Gui Patin, sont la peste des gens de lettres… ; le métier de libraire est exercé par de grands menteurs et de grands fripons. » Ces boutades sont injustes et sans