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crée l’aviation en lui fournissant la force sous un poids léger.

Les seuls livres de science qui donnent un revenu appréciable sont des manuels de médecine ou de chirurgie d’un prix élevé, réédités à 6 000 ou 7 000 exemplaires tous les deux ans et dont chaque tirage rapporte 30 000 ou 35 000 francs à des praticiens universellement recherchés. Mais ces auteurs, pendant les mois où ils s’absorbent dans la correction et le remaniement périodique de leur ouvrage, doivent renoncer à des consultations et à des opérations bien autrement lucratives. Ils éprouvent par là un préjudice très supérieur à leur gain de librairie et, même ici où elle rapporte plus qu’ailleurs, l’on peut dire que la « science » rapporte beaucoup moins que la « clientèle. »

Seulement, il est des sciences qui mènent à la clientèle, et il en est d’autres qui ne mènent à rien, pas même à la notoriété, parce que le grand public traite d’obscurs les noms qu’il a l’injustice d’ignorer. Qu’il s’agisse d’ailleurs de sciences mathématiques ou morales, d’érudition sous toutes ses formes ou de genres littéraires comme la poésie, l’histoire ou la philosophie, les livres ne sont pas beaucoup plus capables qu’il y a deux cents ans de faire vivre sortablement leurs auteurs. Non pas que leur vente ait décru ; il serait très inexact de dire que les livres « sérieux » ne se vendent pas autant que jadis. Ils se vendent au contraire bien davantage, dans leur ensemble, puisqu’il en paraît dix ou douze fois plus ; mais chacun d’eux, pris isolément, ne fournit à son auteur que des profits médiocres parce qu’il ne s’adresse pas à la masse.

Si quelques-uns ont pénétré jusqu’à la généralité des lecteurs, ils le doivent à des ambiances tout à fait indépendantes de leur propre mérite : aux passions du moment ou au choix d’un sujet en vogue. Augustin Thierry ou Fustel de Coulanges ont eu, je pense, au XIXe siècle, un peu plus de génie historique que M. Thiers, mais ils n’ont pas écrit l’Histoire du Consulat et de l’Empire, capable de se vendre 500 000 francs à une société de spéculateurs.

Il en est des idées et du style comme de toute autre marchandise. Leur prix ne dépend pas de leur rareté. Il y a des objets rares qui sont néanmoins peu demandés : une très belle fille, vertueuse et pauvre, qui cherche un mari est sans doute aussi rare qu’une beauté légère qui cherche un amant ; celle-ci est pourtant d’un placement plus facile.