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précédens. Pendant qu’on bâtissait des systèmes et imaginait des hypothèses sur les troubles mentaux, on traitait les insensés avec la dernière brutalité. Pinel lui-même, qui comprit qu’il fallait aux maladies mentales un traitement moral aussi doux que possible, était pourtant dominé par l’idée de répression[1]. En cela, il subissait, malgré lui, l’influence de tous ses prédécesseurs. Et ce même Pinel, qui a supprimé les chaînes comme moyen de contention des aliénés, a maintenu dans toute sa rigueur « la camisole de force et les douches dans le but de vaincre un refus obstiné de nourriture et de dompter les aliénés entraînés par une sorte d’humeur turbulente et raisonnée. » On peut considérer toute la première moitié du XIXe siècle comme une période préparatoire pendant laquelle on s’est mis enfin à observer les aliénés d’une façon clinique, sans idées théoriques préconçues, cela à la façon des botanistes qui examinent des plantes, les comparent entre elles et les classent aussi méthodiquement que possible. Cette observation régulière et systématique a permis au successeur de Pinel, à Esquirol, de publier, justement en 1838, son livre très remarquable sur les « maladies mentales, » livre qui est le résultat de quarante années d’étude consciencieuse des fous et qui peut être regardé comme la véritable encyclopédie psychiatrique de cette époque[2]. Esquirol a créé en France le goût de la psychiatrie. Son Traité a été pour un grand nombre de médecins une révélation. Beaucoup d’entre eux ne se doutaient guère que les maladies mentales pouvaient se traiter autrement que par des moyens de contrainte violente. Ils tombaient des nues quand ils lisaient dans l’œuvre d’Esquirol qu’il ne fallait jamais terroriser les fous, car « la crainte, écrivait-il, est une passion débilitante qui exerce une telle influence sur l’économie qu’elle peut suspendre l’action de la vie et même l’éteindre. » Ces médecins apprenaient avec étonnement que l’excitation maniaque devait être considérée comme une maladie aiguë comparable à une pneumonie ou à une fièvre typhoïde et qu’il fallait la traiter non par des moyens violens de contrainte, mais par des bains longtemps prolongés, des laxatifs, des saignées si la pléthore cérébrale l’exigeait, des moyens moraux en rapport avec le délire. C’est encore Esquirol qui a fait

  1. Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie, Paris, an IX, p. 188 et suivantes.
  2. Esquirol, Des Maladies mentales, Paris, 1838.