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à la légation de Pétersbourg. Gortchakof convint de la malveillance de ses sentimens : « La France, dit-il, avait besoin d’une leçon. » Le Tsar, au contraire, se montra touché de la confiance de Napoléon III. Il chargea Fleury de lui faire savoir qu’il avait de fortes raisons de croire que cette trame ourdie par le maréchal Prim n’aboutirait pas[1]. Il écrivit au roi Guillaume des conseils de modération et d’abstention. Quoique Guillaume lui eût répondu qu’il n’était pour rien dans l’offre faite au prince de Hohenzollern et que son gouvernement était étranger à cette négociation, il envoya encore une dépêche qu’il lut à Fleury, où il priait instamment son oncle de donner l’ordre au prince de se désister : « Par cet ordre, le Roi se désintéresserait de cette candidature, qui deviendrait alors purement espagnole, et ne tarderait pas à disparaître dans les discordes devant l’abandon par toute l’Europe. » — « La guerre serait une calamité européenne, dont la Révolution aurait tout le bénéfice, ajouta le Tsar. Je ferai tout ce que je pourrai, dites-le à votre gouvernement, pour l’empêcher dans la limite de mes conseils et de mon influence. Mon bon vouloir pour l’Empereur ne saurait être mis en doute : dernièrement le Duc d’Aumale et quelques-uns des siens avaient le projet de venir visiter le grand-duc Constantin et de parcourir la Russie ; j’ai fait dire aux princes d’Orléans qu’après le récent vote de la Chambre, leur voyage en Russie me paraissait inopportun[2]. »

Beust ne nous refusait jamais ses paroles. Il écrivit à son ambassadeur à Berlin : « La nation française a refoulé les sentimens qu’avait fait naître en elle l’agrandissement de la Prusse en Allemagne ; mais cette méfiance à peine surmontée non seulement serait réveillée, mais s’élèverait jusqu’à une inquiétude sérieuse si une tentative était faite de gagner l’Espagne à l’influence prussienne en mettant sur le trône un membre de la famille royale de Prusse. Votre Excellence ne cachera pas aux hommes d’Etat de la Prusse que nous voyons le danger de véritables perturbations dans la candidature du prince

  1. Fleury à Gramont, 9 juillet. Voir la France et la Russie en 1870. Comte Fleury.
  2. Fleury à Gramont, 12 juillet. Cette conversation démontre combien il est inexact que l’entente sur la candidature Hohenzollern se soit établie à Ems entre le Tsar et le roi Guillaume. Il n’aurait pas conseillé de retirer une candidature à laquelle il aurait consenti.