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pouvait dire, en subtilisant, que c’était en sa qualité de chef de famille et non en celle de roi. En envoyant son ambassadeur s’expliquer avec nous, il agissait en Roi et non plus en chef de famille et faisait de la question une affaire d’Etat. Nous fûmes donc satisfaits delà résolution royale, d’autant plus que, le débat étant transporté à Paris, entre un ambassadeur et des ministres, il prenait une allure plus libre.

Dans une note que je laissai chez Gramont, le 11 au soir, je lui recommandai de ne plus garder avec Werther les atténuations auxquelles Benedetti avait été obligé envers le Roi, d’insister sur le double caractère de menace et d’offense qu’avait la candidature et sur la réparation qui nous était due, de presser Werther, d’opposer des ripostes résolues aux finasseries déjà percées à jour, de contraindre à sortir de l’équivoque que nous ne pouvions plus prolonger, à nous tirer enfin de la période des arguties et à nous mettre en présence d’un oui ou d’un non. Nous avions été assez joués : il était temps d’en perdre l’habitude.


X

Avant même que Gramont et Werther se fussent abouchés, un coup de théâtre subit renversait toutes les prévisions. La mission de Strat à Sigmaringen avait encore mieux réussi que celle de Bartholdi à Madrid et l’affaire prenait un aspect nouveau.

Strat s’était dirigé d’abord vers Dusseldorff, afin d’apprendre en quel lieu se trouvaient le prince Antoine et le prince Léopold. Il avait su par de vieux serviteurs, en familiarité avec lui, que le prince Antoine était en son château à Sigmaringen, et que le prince Léopold ne voyageait ni en Suisse, ni ailleurs, comme le roi Guillaume l’affirmait faussement, mais qu’il était caché aux environs, afin d’échapper aux obsessions qu’il avait prévues. Ainsi orienté, Strat se rendit à Sigmaringen (8 juillet)[1] ; il y trouva le prince Antoine, à la fois troublé et irrité de notre déclaration. Aux premières ouvertures de Strat il répondit par un refus emporté : son fils n’était plus maître de ses résolutions, il était engagé, il avait donné sa parole ; il ne pouvait reculer

  1. Ce moment de l’arrivée de Strat est établi dans une lettre du Roi à la Reine du 12 : « Le train du général Strat ayant eu un accident, il n’a pu arriver qu’hier soir à Sigmaringen. »