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manifeste, pour ainsi dire, à chaque ligne des fragmens qui nous ont été rendus.

De cette littérature, qui fut son aliment, une grande partie a malheureusement disparu. Il n’est donc plus possible de noter avec précision bon nombre d’emprunts ou de souvenirs qui sont pourtant certains. Mais il y a une chose qui est plus intéressante encore que ne le seraient ces notations de détail. C’est la relation générale de cet Attique, contemporain des Diadoques, avec tout le passé de l’Atticisme ; et elle est si manifeste qu’on peut la définir en quelques mots.

Le talent de Ménandre, en tout ce qui n’est pas son originalité personnelle, fut comme le produit raffiné de la brillante élaboration qui avait amené peu à peu l’esprit athénien au plus haut degré d’intelligence et de souplesse. Depuis deux siècles, alors, Athènes était le lieu du monde où l’on pensait le plus. Il en était résulté, pour les Athéniens cultivés, une acuité et une promptitude d’observation, une justesse de coup d’œil, une facilité de comparaison, un sentiment net et vif des variétés et des nuances, en un mot, une expérience de la vie tout à fait exceptionnelle, et, avec cela, une faculté d’expression qui stimulait encore ces esprits avisés, tant elle se prêtait à l’analyse et à la dialectique spontanées. Le langage, assoupli par la conversation autant que par la littérature, excitait la pensée et l’induisait à ces distinctions fines qui éclairent la complexité des caractères et des actions. L’intuition et le raisonnement, également exercés et se complétant mutuellement, semblaient rivaliser pour offrir à une curiosité intelligente le moyen de scruter la nature humaine, en même temps que l’imagination s’était habituée à la concevoir sous des formes fictives et dramatiques, qui en isolaient certains aspects pour les rendre plus intéressans et plus saisissables.

Ces qualités étaient le fonds commun de la meilleure société athénienne à la fin du IVe siècle, mais elles s’individualisaient naturellement chez les esprits originaux en s’imprégnant de leur personnalité. C’est un vif plaisir que de les voir aujourd’hui se traduire, ou plutôt se ranimer, avec des traits particuliers, dans les conceptions de Ménandre, dans ces dialogues, dans ces discussions, dans ces plaidoyers, dont le texte original est de nouveau sous nos yeux et dans nos mains.

Ménandre paraît avoir été une nature d’oisif élégant et délicat, exempt de toute ambition dominante, assez accessible à la