Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compris le panache de corbillard, les apothéoses d’outre-tombe ; mais du moins parmi nous, sauf les cuistres, personne n’a-t-il plus du roi-peuple cette peur que Racine avait du grand Roi ; et c’est quelque chose.

Les gens de lettres, les savans, les artistes en tout genre ont gagné beaucoup à l’avènement de la démocratie et même à un certain abaissement des fonctions publiques. L’ancien régime ne les avait jamais admis aux premiers rangs ni aux premiers titres et Napoléon Ier, sous ce rapport, avait imité l’ancien régime. C’était une tradition encore trop fraîche pour être brisée du premier coup. Lorsque le temps sembla venu de décerner à la littérature des récompenses équivalentes à celles qui avaient été jusque-là réservées à l’armée ou à la politique, ces récompenses ne valaient plus grand’chose pour personne et les galons étaient décidément fanés.

Richelieu avait institué l’Académie Française, « compagnie de gens doctes et recommandables pour la connaissance des belles-lettres. » C’était, comme dit Chamfort, une manière de leur donner un « état ; » état bien modeste au début et qu’un « homme de qualité » n’eût point accepté sans déroger. Richelieu qui fondait la corporation n’y entrait pas ; il en était seulement le « protecteur, » comme après lui le chancelier Séguier. Lorsque fut créé le premier jeton académique (1672), on pensa le fixer à un demi-louis d’or, mais on reconnut qu’eu égard au nombre des séances, cela ferait 2 700 francs par an et que « ce bénéfice, les grands de la Cour chercheraient, dit un membre de l’Académie, Charles Perrault, à le faire avoir à leurs aumôniers, aux précepteurs de leurs enfans et même à leurs valets de chambre. »

Ce « bénéfice, » qui ne dépassa pas 480 francs jusque la Révolution, les « grands de la Cour » le briguèrent bientôt après pour eux-mêmes ; cette confraternité avec les premiers gens de lettres, les fils et petit-fils des personnages officiels qui l’eussent repoussée, la sollicitèrent comme un honneur. Non que les membres de la Compagnie fussent tous célèbres ou éminens. Les « utilités » de 1635, les « enfans de la pitié de Bois-Robert » que le jovial abbé avait introduits sur la liste pour faire nombre, avaient été remplacés au XVIIIe siècle par d’autres « passe-volans » qui ne les surpassaient guère. Mais le corps s’était revêtu d’autorité et de prestige. L’ombre des génies qui, en