Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Slaves de l’Ouest, comme les Slaves du Sud, les catholiques comme les orthodoxes, Tchèques, Polonais, Serbo-Croates, Bulgares, se tournent presque en même temps vers la France et vers la langue française, et cela avec d’autant plus de confiance que des bords lointains de la Seine qui les ignoraient encore, leur sont venues, comme un écho prolongé de nos révolutions, les premières paroles de liberté.

Et il n’en est pas ainsi seulement des Slaves. Leurs voisins et leurs rivaux, les Magyars, les Roumains, les Hellènes sont poussés vers notre langue et vers notre littérature par des aspirations ou des besoins analogues. A tous ces nobles peuples, notre claire langue française apparaît comme un instrument d’émancipation, en même temps que de culture humaine à la fois et nationale ! Ce qui les attire vers le français n’a rien d’une fantaisie passagère ou d’un engouement irréfléchi ; c’est la conscience même de leurs besoins nationaux, le légitime désir de se libérer des envahissemens d’une culture étrangère qui, en les conquérant et les assimilant, risquerait de les dénationaliser.

Si cela est vrai des peuples chrétiens, qui, des sources de l’Elbe aux embouchures du Danube, luttent pour leur existence nationale, cela ne l’est guère moins des peuples islamiques, non seulement du peuple impérial de l’Islam, des Turcs d’Europe ou d’Asie, mais aussi des Arabes de Syrie, mais des Egyptiens, avides de s’initier à la civilisation européenne, sans se laisser angliciser par leurs maîtres du jour ; mais des Perses eux-mêmes, jaloux, eux aussi, de s’approprier les institutions occidentales et presque également défians de l’aigle moscovite et du léopard britannique. Chrétiens ou Musulmans, tous ces peuples de l’Orient, en rivalité ou en lutte entre eux, sont d’accord en leur goût et leur préférence pour notre langue. Mais notre amour-propre ne s’y doit pas tromper ; ce qu’ils cherchent en elle, c’est un moyen d’éducation et un moyen d’affranchissement. S’ils semblent se faire nos élèves, ce n’est pas pour s’assujettir à nous, à nos intérêts ou à nos idées, c’est, tout au rebours, pour apprendre de nous à rester ou à redevenir eux-mêmes, en se rajeunissant et se fortifiant à notre contact. Cela du reste n’a rien que de flatteur pour notre orgueil, rien que de conforme à notre histoire et aux meilleures ambitions de notre génie national. Cette haute tâche attribuée à notre langue par la confiance des peuples d’Orient, c’est à nous de montrer que nous