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plus ancienne, de structure sociale plus complexe, notre langue est naturellement encore plus répandue, notre littérature plus goûtée que dans les jeunes Etals slaves. Personne n’ignore la passion des Roumains pour le français, demeuré, depuis les hospodars phanariotes, la langue de la Cour et du monde. Comme naguère en Russie, le français reste en Roumanie le signe d’une bonne éducation, la clé qui ouvre les salons et la haute société. La famille royale a beau être d’origine allemande, la politique roumaine a beau incliner vers Berlin et la Triple Alliance, le commerce du pays et la navigation des côtes ont beau passer en des mains germaniques, la longue prédominance du français n’en semble pas encore ébranlée. Peut-être, cependant, le sera-t-elle à la longue ; peut-être les Roumains auront-ils peine à rester toujours les alliés et les cliens de l’Allemagne, sans en subir l’orgueilleux ascendant. Du domaine politique, du domaine économique, l’influence germanique, s’ils n’y prennent garde, et si nous ne savons les y aider, risque de s’étendre à toute la vie sociale, à toute la vie nationale. Par bonheur, il est vrai, ces derniers nés de la vieille Rome, ces héritiers des colons de Trajan, jetés comme une lointaine avant-garde aux extrémités du monde antique, ont gardé profonde la conscience d’être un peuple latin. En redevenant libres, ils se sont retrouvés « welches. » La latinité, ils en ont de plus en plus le sentiment, est le fond de leur nationalité, et cette latinité, qui a surnagé miraculeusement sur les flots jaunâtres du Bas Danube, ces fils orientaux de la Rome impériale, pressés entre les Slaves, les Magyars, les Allemands, au confluent des races et des civilisations, songent qu’ils ne peuvent la sauvegarder qu’en ayant soin de se retremper aux sources latines.

La Grèce ne se réclame point de Rome, ni des Latins. La gloire d’être l’héritière des anciens Hellènes suffit à son orgueil. Mais, isolé dans sa montagneuse péninsule et dans ses îles, le Grec moderne, en face des peuples slaves et des peuples germaniques, se découvre une parenté, une affinité d’esprit, sinon de race, avec les nations néo-latines, issues comme lui de la culture classique. S’il veut échapper à l’isolement ethnique, c’est vers l’Occident que se tournent ses regards, vers les peuples méditerranéens qui gardent, avec lui, le trésor des souvenirs antiques et des gloires communes. C’est près d’eux, près de la France surtout, qu’il va chercher les élémens de la moderne