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Nous ne savons pas ce qu’Etienne Pascal répondit à cette admirable lettre où tous les mots portent, et où toutes les susceptibilités, même les moins légitimes, d’un cœur endolori sont touchées d’une tendre main de femme, si chrétiennement délicate et légère. Mais il est à croire qu’il donna son consentement, et que le résultat de cette retraite fut ce qu’il était facile de prévoir, et ce que Jacqueline, même en écrivant ce qu’on vient de lire, ne pouvait manquer de prévoir elle-même. Car Mme Perier nous a conservé le souvenir d’un entretien, daté du mois de mai 1649, et qui nous fait saisir d’une façon aussi vivante que touchante l’attitude respective du père et de la fille :


Mon père, qui était persuadé qu’elle avait choisi la meilleure part, et qui ne résistait à son dessein que par affection et par tendresse, voyant qu’elle s’affermissait tous les jours dans sa résolution, lui dit qu’il voyait bien qu’elle ne voulait pas penser au monde, qu’il approuvait de tout son cœur ce dessein, et qu’il lui promettait de ne lui faire jamais aucune proposition d’engagement, aussi avantageux qu’il parût, mais qu’il la priait de ne le point quitter ; que sa vie ne serait possible pas encore bien longue, et qu’il la priait d’avoir cette patience ; et cependant qu’il lui donnait la liberté de vivre comme elle voudrait dans sa maison. Elle le remercia de toutes ces choses, et ne lui fit point de réponse positive sur la prière qu’il lui faisait de ne le point quitter, se contentant seulement de lui promettre qu’elle ne lui donnerait jamais sujet de se plaindre de sa désobéissance.


Jacqueline tint fidèlement sa promesse. A Clermont, où toute la famille séjourna près d’un an et demi, elle continua à mener, parmi les siens, la vie claustrale qu’elle avait inaugurée à Paris, ne sortant de sa chambre que pour aller à l’église et prendre ses repas, se dérobant le plus possible aux entretiens inutiles, à toutes les superfluités de l’existence. Un Oratorien ayant appris qu’elle était douée pour la poésie, lui conseilla de mettre en vers les hymnes de l’Eglise. Elle commença par l’hymne Jesu, nostra redemptio ; mais un scrupule l’ayant prise au sujet de ce travail, elle consulta Port-Royal ; la mère Agnès qui lui écrivait souvent, — nous avons quelques-unes de ces lettres, — lui répondit : « C’est un talent dont Dieu ne nous demandera point compte, puisque c’est le partage de notre sexe que l’humilité et le