Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/914

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déguisement et biaiser ! Je ne crois pas que cela se soit jamais vu dans les siècles passés, et je prie Dieu de nous faire mourir tous aujourd’hui plutôt que de souffrir qu’une telle abomination s’introduise dans l’Église… En vérité, ma chère sœur, j’ai bien de la peine à croire que cette sagesse vienne du Père des lumières, mais plutôt je crois que c’est une révélation de la chair et du sang. Pardonnez-moi, je vous en supplie, ma chère sœur, je parle dans l’excès d’une douleur à quoi je sens qu’il faudra bien que je succombe, si je n’ai la consolation de voir au moins quelques personnes se rendre volontairement victimes de la vérité et protester par une vraie fermeté ou par une fuite de bonne grâce contre tout ce que les autres feront, et conserver la vérité en leur personne. Car, je vous le demande, ma très chère sœur, au nom de Dieu, dites-moi quelle différence vous trouvez entre ces déguisemens et donner de l’encens à une idole sous prétexte d’une croix qu’on a dans sa manche ?


C’était retourner contre son propre frère l’ironie même des Provinciales. Et elle poursuivait avec une fougue d’éloquence que Pascal n’a pas dépassée :


Je sais bien que ce n’est pas à des filles à défendre la vérité, quoique l’on peut dire, par une triste rencontre, que, puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d’évêques ; mais si ce n’est pas à nous à défendre la vérité, c’est à nous à mourir pour la vérité et à souffrir plutôt toutes choses que de l’abandonner. Et elle concluait, douloureusement :


Du reste, arrive ce qui pourra, la pauvreté, la dispersion, la prison, la mort, tout cela me semble rien en comparaison de l’angoisse où je passerais le reste de ma vie, si j’avais été assez malheureuse pour faire alliance avec la mort en une si belle occasion de rendre à Dieu les vœux de fidélité que nos lèvres ont prononcés.


Elle signa pourtant, la sœur de Sainte-Euphémie, car il fallut bien se soumettre aux avis autorisés des directeurs de Port-Royal ; mais elle signa, la mort dans l’âme, disant qu’« elle serait la première victime du formulaire. » Ses sombres pressentimens ne l’avaient pas trompée. La douleur d’avoir agi contre ce qu’elle croyait être la voix de sa conscience fut pour la sainte fille le coup de grâce. Elle s’alita, et deux mois après la mère Angélique, elle mourait à Port-Royal des Champs, le 4 octobre 1661, à l’âge de trente-six ans.

Quand Pascal apprit la nouvelle de la mort de sa sœur, quoique ce fût « assurément, nous dit Mme Perier, la personne qu’il aimait le plus, » il dit simplement : « Dieu nous fasse la grâce d’aussi bien mourir ! » Dix mois après, il expirait à son