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M. France, emporté par son imagination de poète, et peut-être aussi égaré par les certitudes « naturalistes » que j’ai exposées plus haut, a souvent interprété arbitrairement la masse énorme des textes originaux qu’il a consultés. Plus d’une fois, lorsqu’il nous cite les sources contemporaines où il a puisé, la vérité est que ces sources, — à en croire M. Lang, — ou bien ne mentionnent nullement le sujet en question, ou bien le présentent sous un autre aspect que celui sous lequel M. France veut nous le présenter en s’autorisant d’elles. C’est là, naturellement, entre les deux biographes de la Pucelle, un débat où je ne saurais intervenir en aucune façon : je vais me borner, par manière d’exemple, à relever quelques-unes des observations publiées par M. Lang dans les notes des deux premiers chapitres de sa Pucelle d’Orléans.


Commençons par la naissance de Jeanne d’Arc. M. France nous dit, que, « dès la première heure, on voulut que les merveilles qui avaient signalé la nativité de Jésus se fussent renouvelées lors de la venue de Jeanne au monde. » Et il ajoute : « On imagina qu’elle était née dans la nuit de Noël. Les bergers du village, émus d’une joie indicible dont ils ignoraient la cause, couraient dans l’ombre pour découvrir la merveille inconnue… Ainsi l’enfant eut, dans sa crèche, son adoration des bergers. » La source citée, ici, est une lettre écrite, après la délivrance d’Orléans, par Perceval de Boulainvilliers, qui avait dû connaître les résultats de la première enquête ouverte à Domremy, sur l’ordre de la Cour, au sujet des origines de la Pucelle[1]. Or, on lit dans cette lettre que Jeanne est née « la nuit de l’Epiphanie, » et que les « paysans du village, » cette nuit-là, ont ressenti une joie extrême, « sans rien savoir de la naissance qui, au même instant, se produisait parmi eux. » Cette « joie extrême » est, évidemment, une fable ; mais M. Lang suppose que les paysans de Domremy, comme ceux d’Angleterre et d’Écosse, avaient coutume, tous les ans, de fêter joyeusement la « douzième nuit ; » et, en tout cas, il ne s’agit point de « Noël, » ni de rien qui ressemble à une « adoration des bergers. »

  1. Enquête pour laquelle, d’après M. France, on aurait « choisi des moines mendians. » Mais le texte ancien dit seulement qu’on a envoyé des « gens ; » et ce n’est que deux ans plus tard, en vue du procès de Rouen, qu’on a envoyé à Domremy des « frères mineurs, » afin de recueillir des témoignages contre la Pucelle ! (Procès, vol. II, p. 397.)