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l’image où nous avions cru fixer leur ressemblance, mais nous-mêmes nous nous surprenons dans un rôle que nous ne croyions pas devoir jamais jouer. Et, s’il faut le dire, la surprise est le plus souvent désagréable. C’est rarement un héros insoupçonné, c’est la plupart du temps un pauvre être qui sommeillait au fond de nous et n’attendait qu’une occasion de s’éveiller. Quand la vérité se découvre, il est rare que nous reconnaissions en elle une amie. Nous nous étions, de bonne foi, composé un rôle et fabriqué une attitude. Nous répétions des phrases dont la sonorité nous plaisait. Des mots ! Des mots ! Tant que la vie se continue sans secousses, nous pouvons demeurer dans cette illusion dont nous-mêmes nous sommes les dupes. Vienne un choc un peu violent ! le masque tombe, l’homme reste. C’est le cas pour presque tous les personnages de Connais-toi, mais pour un surtout ; car il y a ici une figure qui domine toutes les autres et que toute la pièce est destinée à mettre en relief. Il y a un personnage central, autour duquel toute l’action gravite, en sorte que tous les autres n’existent que par rapport à lui. Sa psychologie tient en quelques mots : il est le représentant de l’absolu en morale. Supposez un homme qui a pris au pied de la lettre les formules où se résume l’enseignement religieux, moral, philosophique, depuis celles du catéchisme jusqu’à celles de la théorie militaire. Il croit au Bien, au Devoir, à la Vertu, à l’Honneur. Il accepte ces idées dans leur intégralité, sans atténuations et sans nuances. Il est persuadé que la vie doit se modeler exactement sur elles. Il s’imagine pour sa part y avoir de tout temps conformé sa conduite et ne doute pas que jusqu’au bout il n’ait la force de rester fidèle aux mêmes principes, sans une défaillance. Il apprécie les autres à la même règle rigide qu’il s’applique à lui-même. Quel sera, dans ce domaine de l’a peu près qui est celui de la réalité, dans ce monde de compromissions où nous évoluons, le sort d’un tel homme ? Quels sentimens fera-t-il naître autour de lui ? Combien de temps tiendra-t-il sa hautaine gageure ? Telle est, en quelques mots, toute la donnée de la pièce. C’est la grandeur et la décadence d’un idéaliste.

Chez un tel homme l’absolutisme doit être le résultat de facteurs nombreux dont le premier est le tempérament. C’est lui, assure-t-on, qui nous met sur la voie de nos idées et qui désigne nos doctrines au choix de notre intelligence. Le général de Sibéran a dû grandir dans un milieu de vieille aristocratie où les idées d’autorité n’étaient pas même discutées, où n’a jamais pénétré ce souffle d’universelle anarchie caractéristique de l’esprit moderne. Enfin le métier militaire