Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’adresse de Pavail, retombent en fait sur son fils. Ce sera pour cet homme tout d’une pièce le commencement de la fin, et nous allons voir, une à une, tomber les pièces de son armure. Brutus envoya ses fils au supplice : cela lui a valu un chapitre dans Plutarque. Mais l’héroïsme à la Plutarque n’a plus cours, si tant est qu’on l’ait jamais rencontré ailleurs que dans les livres de cet honnête rhéteur. Depuis qu’il s’agit de son fils, le général de Sibéran n’est plus d’avis que, pour une fredaine, il convienne d’expédier les officiers aux colonies. Il sera beaucoup pardonné au jeune officier, à la condition qu’il promette de ne pas revoir sa complice. Car le général ne va pas cesser de se désavouer lui-même. Si Anna est répudiée par son mari, il semble indiqué que Jean de Sibéran doive l’épouser. Mais voilà ce que le général ne saurait admettre ! Son fils épouser une femme perdue, une débauchée ! Tels sont en effet les termes dont il se sert pour flétrir l’adultère. La violence de ce langage a fait sourire, et la critique n’a pas manqué d’en souligner l’outrance prudhommesque. Savourons-en au contraire l’admirable naïveté ! Au point de vue de l’absolu, où se place le général, toutes les fautes s’équivalent. C’est nous qui, à force de distinctions, énervons et anémions la doctrine morale ; c’est cet homme de rude bon sens qui a raison. Aussi bien, s’il nous fallait encore une preuve de la noblesse d’âme où se hausse sans effort M. de Sibéran, nous la trouverions dans ce mouvement qui le porte à s’aller excuser auprès de Pavail pour l’injustice de ses reproches.

Ne craignez pas, d’ailleurs, que la passade du jeune Sibéran et d’Anna Doncières finisse par un mariage ! Ils ne veulent, ni l’un ni l’autre, de cette solution radicale. La scène, par laquelle s’ouvre le dernier acte, remet les choses au point, chacun des amans évitant, par-dessus tout, de laisser à l’autre aucun doute sur la fragilité d’une fantaisie sans lendemain. Le dialogue est charmant d’ironie légère. C’est un moment de détente dans une pièce où on ne les prodigue pas. Mais revenons à l’essentiel du drame, qui est en train de se corser terriblement. La vertueuse Clarisse ne vient-elle pas d’accorder un baiser à Pavail ? Il n’y a que les innocens pour se faire prendre. C’est pourquoi le général arrive juste à point pour être témoin de l’unique faiblesse de sa vertueuse épouse. Voilà l’épreuve. Le moment est venu pour l’impitoyable justicier de faire justice, alors que lui-même est l’offensé. Qu’il s’applique sa propre théorie ! Qu’il tienne pour faute l’intention de la faute ! Qu’il chasse l’épouse qui a été coupable fût-ce en pensée ! Ah ! le pauvre justicier qui, au lieu de condamner, pardonne, au lieu de chasser, supplie qu’on ne l’abandonne pas ! Il