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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/106

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VI

Après 1789, Chamfort appartient tout entier, sans partage, à la Révolution. Qu’il ait persisté plus de quatre ans dans le parti politique embrassé aux premiers jours, pour qui connaît son caractère inconstant et sa mobilité, la chose ne laisse pas d’être surprenante. C’est seulement dans les derniers mois de sa vie qu’il revient à des idées plus modérées ; menacé lui-même par les événemens qui se déchaînent, il se montre effrayé et trouve qu’on va trop loin. Mais combien de ceux qui attaquèrent avec le plus de vigueur l’ordre ancien, combien, parmi les gens de lettres et les philosophes, ne l’auraient pas suivi jusque-là ! Ni d’Alembert ni Voltaire, s’ils avaient survécu, n’auraient été avec lui. Il faut croire que sa rancune contre le régime déchu était bien profonde.

Les grandes journées du début le remplirent d’enthousiasme. Il s’écrie, dans une lettre de juillet 1789 : « Nous venons de vivre trente ans en trois semaines[1]. » L’élan une fois donné, il n’a aucune hésitation ; il trouve même qu’on ne marche pas assez vite ; il devance son parti. Il « rit de pitié » des ménagemens que témoignent les patriotes aux commis de la Guerre ou des Affaires étrangères[2]. Les excès qui suivirent et qui alarmèrent tant d’autres, ne le découragèrent pas. « Il faut savoir prendre son parti sur les contretemps de cette espèce[3]. » Il le prenait assez facilement. Le surlendemain du 10 août, quand plusieurs de ses confrères s’enfuyaient à l’étranger ou se cachaient dans quelque trou de province, il se donnait le plaisir d’une excursion dans Paris : « J’ai fait ce matin, écrit-il à un ami, le tour de la statue renversée de Louis XV, de Louis XIV, à la place Vendôme, à la place des Victoires. C’était mon jour de visite aux rois détrônés ; et les médecins philosophes disent que c’est un exercice très salutaire. Vous serez sûrement de leur avis[4]. » Puis, de la place Louis XV il pousse au château des Tuileries. Il y trouve un spectacle dont il est tout à fait réjoui : « Le peuple

  1. Éd. Auguis, V, p. 306.
  2. Ibid., V, p. 314.
  3. Ibid., V, p. 320 (lettre du 12 août 1792.
  4. Ibid., V, p. 317.