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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/108

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assemblées, » le força de rester chez lui ; et, comme la foule devenait tous les jours plus nombreuse aux Jacobins, il allégua qu’il pouvait se permettre de n’y plus aller. Il lui restait la ressource de soutenir ses opinions par la plume : c’est ce qu’il fit.

Passons sur ses Tableaux de la Révolution, collection de gravures qu’il était chargé par un éditeur de présenter au public avec des explications historiques ; le texte servait à illustrer les images. Dans cette entreprise de librairie, l’historien était subordonné au dessinateur, et il est d’ailleurs très difficile aujourd’hui de distinguer ce qui a été véritablement l’œuvre de Chamfort. Car les événemens ont vite changé au cours de ces années révolutionnaires, et avec eux la manière de les juger ; l’éditeur avait bien soin de changer, lui aussi, pour rester toujours au niveau des opinions qui régnaient ; de sorte que le texte primitif a dû être plusieurs fois modifié. Quand Chamfort parle des services qu’il a pu rendre comme écrivain à son parti, il songe certainement à ses articles du Mercure. Il y travailla jusqu’à la fin.

On y voit naître un genre nouveau de littérature : la critique des ouvrages faite au jour le jour et insérée dans un journal qui paraît à date fixe. Au début du XVIIe siècle, ceux qui désiraient être renseignés sur le mérite d’une production nouvelle, sollicitaient l’avis d’une personne de goût. C’était en général sous forme de lettre qu’elle donnait son opinion. Ainsi Saint-Evremond, lorsqu’il avait à juger l’Alexandre de Racine. La lettre circulait dans la société de mains en mains, et finissait même par être imprimée. Peu à peu les journaux s’emparèrent de ces appréciations, dont le public était très friand. Le Mercure s’adjoignit, pour cette besogne hebdomadaire, La Harpe, Marmontel et Chamfort. Les articles de Chamfort sont de quelqu’un qui sait son métier, sans doute ; mais, comme presque tout ce qui est sorti de sa plume, ils n’ont guère de relief ni de personnalité. Ici encore, eut homme, qui avait tant d’esprit quand il parlait, en manque lorsqu’il écrit. Lui reprochera-t-on d’y avoir fait plus de politique que de littérature ? Les ouvrages dont il rendait compte se ressentaient tous de l’agitation où ils étaient conçus. Comment une nature, même moins ardente et passionnée que la sienne, aurait-elle pu rester à l’écart de la lutte des partis, se retrancher dans une critique d’une sereine indifférence et ne pas prendre prétexte des occasions qui s’offraient pour défendre des idées chères ?