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violation flagrante du droit des gens. Napoléon, avait justement calculé que l’Angleterre ne pouvait vivre sans commerce, sans relations avec le continent ; en le lui fermant, il pensait l’atteindre dans les sources mêmes de sa vie. Mais la Grande-Bretagne n’était pas encore devenue ce qu’elle est aujourd’hui, une immense usine qui ne saurait se nourrir sans acheter ses vivres à l’étranger ; son agriculture suffisait presque à sa consommation : elle souffrit, mais elle résista. Napoléon était, à vrai dire, seul à vouloir fermement le blocus ; il l’imposa par l’ascendant de son génie et par la force de ses armées, mais il n’obtint jamais la collaboration spontanée, absolue, universelle, des peuples qui est indispensable au succès d’un boycottage ; même parmi ses sujets français, les intérêts privés, lésés par le blocus, favorisèrent la contrebande ; à plus forte raison dans les pays qui n’obéissaient que par contrainte. Le blocus continental est un boycottage voulu et imposé par un souverain malgré les répugnances des peuples ; les boycottages d’aujourd’hui sont, au contraire, voulus et imposés par les peuples malgré les répugnances des gouverne -mens, ou tout au moins sans leur participation officielle : c’est ce qui en fait la nouveauté, l’originalité et l’importance. La Chine et la Turquie vont nous en offrir deux exemples caractéristiques.


II

La Chine est le pays par excellence des associations. L’association naturelle, la famille, est la base de la société ; le gouvernement impérial est l’image agrandie de la famille. Chaque individu est fortement encadré dans un réseau d’associations et de confréries qui règlent, mesurent et protègent son activité. Les travailleurs du même métier, les marchands faisant le même commerce, sont embrigadés dans des guildes solidement organisées ; ces corporations, comme celles de notre moyen âge, ont leur culte, leur saint patron, leurs fêtes, leurs règlemens, leur syndic, leur tribunal, leurs pénalités ; elles s’occupent de régulariser les prix et les salaires, elles savent, à l’occasion, provoquer des grèves, et, pour se protéger contre les exactions ou l’arbitraire des mandarins, elles pratiquent, depuis longtemps, le boycottage. A mesure que la Chine s’est ouverte aux étrangers, des conflits sont survenus où ceux-ci n’avaient pas toujours le beau rôle ; pour résister à leurs exigences, les guildes