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principaux ports de l’Empire ottoman, arrivent et partent sans pouvoir faire une seule opération commerciale.

A Salonique, d’où le mouvement révolutionnaire du 23 juillet était parti, le boycottage, secrètement organisé par des membres du Comité Union et Progrès, fut exercé avec une particulière rigueur ; et pourtant, sur un marché où 65 pour 100 des marchandises importées sont autrichiennes, l’intérêt commercial des négocians entrait directement en lutte avec leur zèle patriotique. Le 11 octobre, des affiches invitent les négocians à rompre toutes relations commerciales avec les Autrichiens et somment la clientèle de déserter le » magasins autrichiens ; une édition supplémentaire du journal Yeni Osr, feuille semi-officielle, explique au public la nécessité et la légitimité du boycottage : « Le moins qu’une nation puisse faire, écrit-il, lorsqu’une autre puissance lui crée d’offensantes difficultés, c’est de manifester son mécontentement en ne traitant plus avec elle… D’ailleurs, au lieu de recevoir des marchandises de camelote provenant des fabriques autrichiennes, il serait à coup sûr plus logique de nous fournir de bonnes marchandises anglaises et françaises. » En quelques heures, le boycottage est complet, les magasins mis à l’index sont désachalandés. Le Tyrol, du Lloyd, étant arrivé de Trieste dans l’après-midi du 11, l’agent de la Compagnie envoie réquisitionner les mahonniers pour opérer le déchargement du navire ; pas un seul ne se rend à son appel ; la promesse d’un double salaire, pas plus que les menaces, ne peut décider à travailler ni un seul musulman, ni un seul de ces Juifs, d’ordinaire si âpres au gain, qui, sur les quais de Salonique, guettent l’arrivée des bateaux. Le Consul général d’Autriche se rend chez le vali et lui demande de requérir la police ; Danisch bey lui répond qu’il réprimera sévèrement tout acte de violence, toute tentative de désordre, mais qu’il ne peut rien faire contre la grève des bras croisés. L’agent du Lloyd se rend alors chez un gros négociant de la place, destinataire d’une bonne partie des marchandises apportées par le Tyrol et l’invite à en prendre livraison puisque aussi bien il devra régler ses factures à Trieste ; il n’obtient que cette jolie réponse : « Je ne vois nullement la nécessité de faire honneur à mes engagemens quand l’empereur d’Autriche vient de renier les siens. » Le Tyrol doit repartir sans avoir débarqué une tonne de marchandises. Un vapeur bulgare, arrivé le même jour avec 2 000 sacs de