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ces peuples ou fractions de peuples noyés dans le débordement de l’islam, — Juifs, Coptes, Arméniens, Maronites ou Hellènes, — tous savent que, s’ils ont sauvé leur existence à travers les plus sanglantes persécutions, c’est à leur organisation religieuse qu’ils le doivent. En sera-t-il de même dans l’avenir ? Le lien religieux n’ira-t-il pas s’affaiblissant, à mesure que prévaudront les principes de tolérance et d’égalité civique des cultes, qui viennent d’être inscrits dans la nouvelle constitution de l’Empire ? Sans doute, les partis avancés travaillent à l’avènement de cet idéal purement laïque ; ils répètent d’ores et déjà qu’il n’y a plus ni Musulmans, ni Chrétiens, ni Juifs, mais seulement des Ottomans. Néanmoins, ces théories ne sont point encore descendues effectivement dans la coutume. Jusqu’à ce que les mœurs soient changées, le groupement religieux restera pour les « rayas » le meilleur moyen de concentration et le cadre le plus propice à une action commune. Quant aux Hellènes en particulier, il est évident que la réalisation de leur programme politique est lié au sort de l’Église grecque orthodoxe. Qu’on porte atteinte à l’orthodoxie[1], immédiatement les susceptibilités nationales entrent en jeu. Il est difficile alors de distinguer le Chrétien de l’Hellène. Où la foi commence-t-elle, où finit le patriotisme ? Sous la pression d’un danger immédiat ou d’une concurrence redoutable, toute distinction trop subtile s’abolit. L’incrédule ne fait plus la part du doute. Il rejoint, d’un bond, la foi du charbonnier, qui est élémentaire et simple comme l’instinct de conservation. Aujourd’hui encore, chez les Chrétiens et les Juifs orientaux, cet instinct-là, sous sa forme religieuse, est d’une puissance et d’une vitalité formidable.

À cause de l’intensité de ce zèle confessionnel, de leur solidarité si étroite, de leur activité commerciale, de leur énorme avance intellectuelle sur les Musulmans, — et en dépit de toutes les tares inhérentes à l’état servile, — chacun de ces groupes religieux représente une force considérable. Jusqu’ici, les fatalités historiques ont fait d’eux nos alliés contre leurs oppresseurs. Si l’heure de la réconciliation sincère avec leurs anciens ennemis est arrivée pour tous ces dissidens, — et personne n’oserait encore l’affirmer ! — ils n’en demeurent pas moins nos alliés dans notre œuvre civilisatrice, puisque c’est au nom des

  1. On l’a bien vu récemment, à Athènes, lors de l’Affaire des Évangiles.