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visible de son origine : la cicatrice profonde du fameux « bouton d’Alep, » ce bubon endémique qui contamine presque tous les indigènes.) Elle a commencé, me dit-elle, par suivre les cours des sœurs Saint-Joseph, qui tiennent un pensionnat dans sa ville natale ; puis elle a terminé ses études à Paris, chez les Dames de l’Assomption. C’est une jeune personne très bien élevée. Pas la moindre faute ni d’accent, ni de langage, ni de tenue ; rien dans sa toilette, — très élégante et très simple, — qui rappelle l’outrance levantine. Elle pourrait fort bien passer, à première vue, pour une petite provinciale française qui vient de sortir du couvent. Son frère, lui, n’a jamais quitté la Syrie. Elève des Franciscains d’Alep, il se prépare à entrer en rhétorique. De même que sa sœur est une parfaite couventine, il offre le type idéal du lycéen. Très préoccupé de sa chaussure et de sa coiffure, attentif à la bonne coupe de ses vestons, à la nuance de ses cravates, c’est aussi un amateur de sports, qui ne parle que de football, de tennis et d’équitation. Je le regarde manger, découper les mets sur son assiette. L’Anglais le plus féru de snobisme ne’ trouverait rien à reprendre à la correction de ses gestes.

Les autres jeunes Beyrouthins, qui garnissent la table, sont également bien mis, bien chaussés, bien coiffés, causeurs diserts, aimables même, légèrement obséquieux, et toujours pratiques. L’un d’eux, que j’interroge sur notre commensale, la jeune fille d’Alep, me répond : « Oui ! très jolie !… Et une dot de trois cent mille francs !… » C’est le fiancé, un garçon de moyenne bourgeoisie, employé dans un service public, mais d’une distinction à justifier les plus hautes espérances. Le seul reproche qu’on pourrait adresser à ces jouvenceaux, c’est d’être un peu trop pareils et de se ressembler comme Guy, Gontran et Gaston. Je les suis dans le hall de l’hôtel, où la plupart des dîneurs se sont réunis. On s’y comporte exactement comme dans nos hôtels européens : on y potine, on pianote, on feuillette des revues ou des journaux illustrés, quelques couples dansent. Tout ce monde paraît très avide de bruit, d’agitation et de plaisir, très soucieux de se produire et de parader. Malheureusement, les distractions sont rares en Syrie, comme les lieux où l’on s’amuse. Quand on n’a pas le moyen d’aller passer l’été à Biarritz ou dans le Tyrol, il faut bien s’accommoder de ce qu’on trouve dans le Liban. On s’y précipite d’ailleurs, faute de mieux. Chaque année, durant toute la saison chaude, 10 ou 15 000 Syriens