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de la Jeune-Syrie n’en est pas moins incontestable, il faut même ajouter : très ardent.

Toutes ces qualifiés et tous ces mérites se tempèrent de défauts très graves, défauts que les Syriens partagent avec les autres Levantins. Mais, quoi qu’on puisse leur reprocher, on doit convenir que, chez eux, les principes essentiels de moralité restent saufs. Autant que les Juifs, et peut-être plus que les Hellènes, ils ont le culte de la famille. Ils sont riches d’enfans et, en général, fidèles époux. Les femmes surtout sont exemplaires. Un religieux, confesseur infatigable, me disait, un jour, en me parlant d’elles : « Ce sont des saintes, monsieur !… de véritables saintes. La perfection de quelques-unes nous humilie, nous autres prêtres ! Ah ! celles-là ne songent pas à l’adultère ! » — Et le bon religieux me disait encore, avec une pointe de gaîté rabelaisienne : « Comment voulez-vous qu’elles y pensent ? Elles ont des maris si ponctuels et si difficiles à contenter !… »

Par-delà ces vertus bourgeoises, il y a, chez le Syrien de l’élite, une sentimentalité particulière, malaisée à définir avec des mots français, et qui lui poétise singulièrement l’amour, même conjugal. C’est un déconcertant mélange de chasteté et d’emportement sensuel, un lyrisme tantôt platonique et tantôt voluptueux qui s’exprime par les paroles de l’extase et de l’adoration, au point que le Bien-aimé et la Bien-aimée finissent par s’évanouir et se confondre avec l’Amour divin, comme dans le Cantique des cantiques. Mais plutôt que de risquer une définition inexacte et incomplète, je préfère renvoyer le lecteur au roman[1] que vient de publier M. Chékri Ganem, l’un des plus distingués écrivains que nous ait donnés la Syrie. En même temps que son livre inflige un victorieux démenti à nos ridicules préjugés sur la couleur locale orientale, il contient une étude copieuse et très fouillée d’un de ces cas de sentimentalité, que, seul, un homme de sa race pouvait traduire et transposer dans notre langue.

L’auteur nous y raconte l’histoire d’une petite danseuse israélite, sœur adultérine d’un Chrétien qui, sans soupçonner, d’abord, le lien du sang qui les unit, en est éperdument amoureux. On sent tout de suite ce qu’il y a d’inquiétant dans un tel sujet : ce frère qui est aussi un amant, cette sœur qui, même avertie, continue à aimer le fils de son père et qui l’aime avec

  1. Da’ad, Paris, Eugène Fasquelle, 1908.