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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/474

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aussi, exceptionnellement intelligent, avec un don singulier de comprendre, et de mettre à profit, les derniers courans de la pensée européenne. Après avoir, dans une longue nouvelle, essayé de reprendre la doctrine évangélique du comte Tolstoï, incarnée dans un personnage qui reproduisait le type principal de l’Idiot de Dostoïevsky, il a très habilement deviné l’intérêt que pouvait offrir pour ses compatriotes. à l’heure présente, une sorte de « russification » du « surhomme » de Nietzsche ; et son talent d’assimilation se retrouve jusque dans les moindres détails de la mise en œuvre de son Ssanine, où les paysages, les scènes de mœurs populaires ou galantes, les portraits des héros aussi bien que des figures accessoires, tout est traité fort habilement, mais toujours en nous rappelant un modèle connu, russe ou étranger. Une originalité véritable, la marque évidente et profonde d’une inspiration personnelle, c’est ce qui, jusqu’à présent, manque le plus à M. Artsibachef, sous la savante éducation littéraire qu’il a su acquérir. Puisse-t-il réussir bientôt à combler cette fâcheuse lacune, avant que la révélation d’un auteur nouveau l’expose, lui aussi, à faire l’expérience douloureuse de ce « goût passionné de nouveauté » qui a déjà élevé et renversé sous nos yeux, en moins de dix ans, les gloires de M. Gorky et de M. Andréief !


Du moins, en attendant, les lettrés et le public russes viennent-ils de, nous prouver, de la façon la plus exemplaire, que leur engouement pour leurs derniers « grands hommes » ne les empêche pas de garder pieusement la mémoire des véritables héros de leur littérature. Des fêtes magnifiques ont eu lieu dans tout l’empire, le 9 mai passé, pour fêter le centenaire de la naissance de Nicolas Gogol ; Moscou, en particulier, a invité des représentons de toutes les littératures européennes à prendre leur part de la glorification de l’illustre auteur des Ames mortes. Je n’ai pu, malheureusement, connaître encore le détail de la solennité de Moscou, où l’on sait que MM. le vicomte E. -M. de Vogüé et Louis Léger ont été chargés d’assister au nom de la France : mais j’espère pouvoir revenir bientôt sur ce sujet, et rendre compte, par la même occasion, de divers travaux récens sur le grand rénovateur de la prose russe.


T. DE WYZEWA.