Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/484

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Constantinople et on a tiré de ce fait la conséquence qu’il y avait, entre les deux faits, une corrélation qui n’était pas le résultat du hasard. C’est encore possible : cependant, les récits que des témoins des massacres ont faits dans les journaux semblent indiquer qu’il y a eu pour le moins des imprudences commises par les Arméniens et que l’irritation, la colère musulmane devait fatalement se déchaîner contre eux un jour ou l’autre et leur porter brutalement des coups meurtriers. Quand tout a été fini, heureusement fini à Constantinople, les tueries ont continué de plus belle en Cilicie : elles se prolongent encore. Les navires des puissances ne peuvent protéger que les ports ; l’intérieur des terres leur échappe. Les premières troupes qui ont été envoyées pour arrêter les massacres ont fait cause commune avec les massacreurs. C’est de ce côté que les nouveaux maîtres de Constantinople doivent porter leur premier et principal effort s’ils veulent inspirer confiance à l’Europe, et s’ils veulent aussi, comme ils en comprennent sûrement l’intérêt, faire acte d’autorité ordonnée et tutélaire dans des pays qui risquent de pousser un jour très loin leurs aspirations décentralisatrices.

Quel est aujourd’hui le gouvernement de la Turquie ? En réalité, il n’y en a pas, ou il y en a peu. Il y a un maître : c’est l’armée. En dehors de cela, tout est confus. À la vérité, Chefket pacha, le général en chef des troupes macédoniennes qui ont si rapidement et si bravement opéré à Constantinople, a déclaré à diverses reprises que l’armée ne devait pas faire de politique et n’en ferait pas. Il a refusé lui-même d’entrer dans un ministère, afin de conserver à ce point de vue son caractère désintéressé. Non seulement il n’a pas agi pour son compte, mais il n’a pris, explique-t-il, aucune initiative et s’est contenté d’exécuter les instructions du Comité de Salonique. Ayant rempli sa tâche, accompli son œuvre, il rentre dans le rang. Tout cela est fort bien et il n’y n pas lieu de douter de la sincérité de Chefket pacha : mais le monde qui, nous l’avons dit, regarde et cherche à comprendre, ne peut pas descendre au fond des cœurs ; il ne voit que les faits et les faits peuvent se résumer ainsi : un Comité omnipotent, anonyme, en partie occulte, irresponsable, qui pèse sur le gouvernement sans gouverner lui-même et renverse à son gré ou intronise les ministres. — et, à côté de ce Comité, peut-être se confondant avec lui, une armée qui, ayant exercé deux fois sa force, sait fort bien qu’elle peut tout. Il serait difficile de discerner une autre action à Constantinople que celle de ce comité invisible et de cette armée très visible. Quant au gouvernement proprement dit, ce n’est qu’une ombre, au moins actuellement. Nous