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doute, dit-il avec Guizot, on a tenu peu de compte, de l’amitié de la France ; elle en est blessée, mais l’offense n’est pas de celles qui commandent et légitiment la guerre ; s’il y avait eu une offense réelle, il faudrait tout sacrifier, mais il y a eu manque d’égard, non insulte politique : on n’a voulu ni nous tromper, ni nous défier ; il y a insouciance, mauvais procédé, non pas affront ; aucun grand intérêt n’est attaqué ; l’acquisition de la Syrie à Mehemet-Ali n’est pas une cause légitime de guerre. » — Ecoutez en quels termes Thiers, après sa retraite, juge cette résignation de Guizot et du Roi : « Je ne puis froidement discuter cette question ; je ne puis rechercher, la rougeur m’en monterait au front, s’il y a eu mauvais procédé, outrage, je ne distingue pas… Si la France recule, elle descend de son rang : cette monarchie que nous avons élevée de nos mains, je ne pourrais plus me trouver en présence des hommes qui nous accusent de n’être venus que pour l’amoindrir. Que pourrai-je répondre à ces ennemis, que vous connaissez bien, quand ils nous diront : « Ce gouvernement, nous ne savons pas ce qu’il a pu faire, mais il assiste à la plus grande humiliation que nous ayons subie. » Mes collègues et moi nous sommes retirés le jour où nous n’avons pas pu pousser jusqu’à son terme naturel et nécessaire la grande résolution que nous avons prise, non pas de faire la guerre à l’Europe, mais d’exiger, dans un langage qui ne l’aurait pas offensée, la modification du traité, ou je l’avoue, le mot est grave à prononcer, ou de déclarer la guerre. (Mouvement.) Le ministère anglais avait dit que la France, après avoir montré de la mauvaise humour, se tairait et céderait. Quand je vois mon pays ainsi humilié, je ne puis contenir le sentiment qui m’oppresse et je m’écrie : Quoi qu’il m’arrive, sachons être toujours ce qu’ont été nos pères et faisons que la France ne descende pas du rang qu’elle a toujours occupé en Europe. » (Vive adhésion à gauche. Acclamations prolongées.) L’héritier même du trône, le Duc d’Orléans indigné, disait : « Il vaut mieux succomber sur les rives du Danube ou sur celles du Rhin que dans un ruisseau de la rue Saint-Denis. »

Les conséquences de cette prudence ou de cette pusillanimité de Louis-Philippe, qu’on se serve du terme qu’on préférera, lui furent fatales. Il resta debout encore, mais comme un arbre dont les racines sont pourries et, au moindre coup de vent un peu fort, il fut renversé. La nation irritée se crut déchue de son rang « et fut prête à ces résolutions désespérées que de pareilles