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allumées que celles du procès Baudin ; Jules Favre nous eût magnifiquement conspués et Jules Simon doucereusement déchirés, et tous auraient fait des variations sur le mot prêté à Gortchakof : « L’homme de la Seine ne se tient en équilibre que par les soufflets que Bismarck lui donne sur les deux joues. » Aucun obstacle n’aurait plus contenu la subversion : les irréconciliables, devenus les héros de l’indignation publique, auraient fait de l’État leur proie, et l’armée, si on eût voulu l’acquérir contre eux, aurait confirmé les paroles d’un de ses chefs les plus illustres, le maréchal Niel : « Notre peuple est extrêmement sensible à l’outrage, et le plus grand malheur qui pourrait lui arriver, ce serait de recevoir un outrage s’il était désarmé. Il renverserait tout autour de lui, il s’en prendrait au gouvernement et il aurait raison. »

On a posé comme point de départ que la défaite était fatale. Aujourd’hui, il est démontré que nos chances de victoire étaient considérables et que notre magnifique armée a déçu notre attente parce que, passant du commandement d’un chef qui avait la pierre à la vessie, à celui d’un autre qui l’avait au cœur, elle a été laissée sans direction, flottant au gré des rencontres, navire sans pilote au milieu du roulis des batailles. Nos chances eussent-elles été moindres, nous n’avions pas le choix. Placés entre une guerre douteuse et une paix déshonorée, bellum anceps an pax inhonesta, nous étions obligés de nous prononcer pour la guerre : nec dubitatum de bello. « Pour les peuples comme pour les individus, il y a des circonstances où la voix de l’honneur doit parler plus haut que celle de la prudence. » Et selon le Thiers des bons momens : « Il est des choses que, dût-on périr à l’instant même, on ne doit jamais souffrir. » Les gouvernemens ne succombent pas seulement aux revers ; le déshonneur les détruit aussi ; il y a les révolutions de la défaite, mais celles du mépris ne sont pas moins redoutables : notre histoire, en particulier, atteste que tout gouvernement qui s’est montré moins susceptible que la nation sur le point d’honneur, avait été, quoi qu’il fît d’ailleurs, irrévocablement condamné. Intuta quæ indecora, il n’y a pas de sécurité dans l’ignominie. « Pourquoi le siècle de Louis XV descendit-il si bas dans l’estime des contemporains ? Parce que, sauf la bataille de Fontenoy et quelques vaillantises à Québec, la France fut continuellement humiliée. Les lâchetés de Louis XV retombèrent sur la tête de Louis XVI et