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passées dans un mauvais gîte n’étaient pas pour faire mourir un homme. Simple changement d’air, après tout ! Innocent et libéré, le Donnadieu n’aurait que plus de plaisir à retrouver son lit, sa femme ou sa maîtresse… Ainsi raisonnait, en l’an X, Pierre-Marie Desmarest, ce grand citoyen de police : ses belles études de séminaire en avaient fait un logicien.


Encadré d’inspecteurs, Donnadieu descendit de voiture, monta les marches du perron, franchit une première porte, un couloir, une seconde ostière, et arriva enfin à la morgue de la prison. Il paraissait fort abattu, piteux dans ses habits fripés, beaucoup moins petit-maître qu’en ces journées heureuses où il promenait au Bois de Boulogne sa fringante Julie. Le brigadier de police remit au directeur concierge l’ordre d’arrestation ; on expédia les formalités de l’écrou, puis, nantis d’un reçu, les inspecteurs se retirèrent. Désormais, Donnadieu était la chose de Fauconnier…

A la morgue, il fit la connaissance de maintes figures rébarbatives : guichetiers, sous-guichetiers, surveillans, porte-clefs et autres princes de la « caruche. » Le personnel de la prison se composait d’une douzaine de happe-chair, gaillards peu estimables, ivrognes ou fripons, sournois ou brutaux : des citoyens Deschamps, Christophe, Savard, etc. ; le terrible Popon. Enracinés dans la maison d’arrêt, et gens de la carrière, plusieurs de ces geôliers y maniaient le judas depuis les temps de la Terreur. Ceux-là avaient connu « Capet, » la « louve autrichienne, » le petit « louveteau, » et Simon, son éducateur ; ils verrouillaient, alors, l’impur aristocrate ; maintenant, ils cadenassaient l’infâme jacobin, — dévoués à la Nation, dévots à Bonaparte, excellens fonctionnaires français. Affublés d’un hideux uniforme : veste et bonnet de laine beige, trousseau de clefs à la ceinture, ils dévisagèrent longuement l’homme confié à leur garde. Un pareil examen était indispensable. En dépit des serrures, loquets, portes à fléau, murailles, gardiens, gendarmes, les détenus s’évadaient souvent, car l’escampette était, au Temple, un des jeux favoris. L’exhibition achevée, on prépara la chambre du nouveau pensionnaire.

« Le concierge du Temple, ordonnait le mandat de dépôt, recevra le citoyen Donnadieu prévenu de conspiration : il sera mis au secret… » Au secret ?… En ce cas, logé dans le Donjon…