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besoin de consolations. Il les trouva dans cette affection nouvelle où il entrevoyait « une vue de la Providence, » et il se laissait aller à en goûter la douceur : « Je sens bien vivement vos bontés, écrivait-il à Mme de Lacan ; elles font le bien-être de mon cœur. »

Une intimité croissante lui permit bientôt d’apprécier la haute valeur intellectuelle de la femme qui se confiait à lui. Aussi, quand elle venait le voir, lui lisait-il certains passages du second volume de l’Essai sur l’Indifférence dont il préparait en ce moment la publication, et il acceptait certaines corrections de style qu’elle lui suggérait. Dans ses lettres à Benoist d’Azy, Mme de Lacan s’enorgueillit de cette confiance. Elle raconte même joliment qu’un jour elle trouva Lamennais fort troublé. Il avait reçu une invitation à dîner d’une femme qui l’ennuyait et il ne savait comment s’y prendre pour refuser. Elle lui proposa de rédiger pour lui la lettre de refus. Ce fut, pour la femme du monde qu’elle était, l’affaire d’un instant, mais Lamennais lui en témoigna une reconnaissance infinie. Ce brouillon lui épargnait, disait-il, trois heures de temps qu’il aurait employées à très mal tourner trois lignes d’excuses, et il demandait la permission de le garder pour qu’il pût lui servir dans des occasions semblables.

Cette amitié, qui s’annonçait si douce, connut cependant l’année suivante quelques troubles. Mme de Lacan possédait à Cernay, aux environs de Paris, une petite habitation où elle demeurait avec sa mère et un vieil ami. Au printemps de l’année 1819, Lamennais crut pouvoir sans inconvéniens y faire un séjour de quelque durée. Mais l’abbé Carron, en sa qualité de directeur, en jugea autrement et l’engagea à n’y point retourner, « ayant été averti, écrivait Lamennais à Mme de Lacan, que plusieurs personnes s’étonnaient dans le monde que je demeurasse à la campagne avec une jeune femme et que cela faisait mauvais effet. » Il lui annonçait donc qu’il ne retournerait point à Cernay. Le coup fut rude pour Mme de Lacan, d’autant plus qu’elle s’exagéra la portée de cette interdiction. Elle crut que toute relation avec Lamennais lui serait désormais interdite, et que l’appui dont son âme chancelante sentait encore le besoin allait lui être retiré. Dans un premier mouvement de douleur elle adressa à Lamennais une lettre désespérée que peut-être elle n’envoya pas, car l’original en a été retrouvé dans ses papiers. « Vous m’avez dit : Heureux ceux qui pleurent, lui écrivait-elle ; cette parole est