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reverrai bientôt : qu’est-ce que cinq ou six semaines ! N’altérez pas votre image au fond de mon cœur.


Mme de Lacan cède à cette objurgation. Elle consent au sacrifice qui lui est demandé ; elle accepte de demeurer dans cette maison de retraite où elle avait cherché un refuge provisoire, de ne plus voir l’homme qu’elle aime ; mais la vie, ainsi dépouillée de tout intérêt de cœur, lui paraît désormais vide et décolorée. Elle tombe dans le désespoir, et, sincère autant qu’elle était passionnée, elle fait à Lamennais l’aveu de ce désespoir. Aussi s’attire-t-elle une nouvelle lettre, plus sévère encore que la précédente, bien que la sévérité en soit tempérée par l’affection.


… Ne croyez pas que je vous oublie un seul moment. Vous m’êtes sans cesse présente ; je vois vos souffrances, j’y compatis et voudrais les soulager. Mais ne les aigrissez-vous point par vos réflexions, vos craintes, par une sorte d’obstination triste à vous nourrir de votre douleur ?…

Je vous dirai avec franchise que votre dernière lettre m’afflige singulièrement. J’attendais de vous plus de force, plus de constance, plus de ce calme que donne un abandon parfait à Dieu. La passion vous maîtrise encore ; vous vous cramponnez à la terre, à mesure que la Providence s’efforce de vous en détacher. Les choses de l’autre vie vous touchent peu ; vous n’êtes sensible qu’aux espérances dont vous auriez dû depuis longtemps reconnaître la vanité. A quoi sert de chercher le bonheur où il n’est pas ? Vous vous raidissez contre l’ordre éternel. De là ces angoisses qui vous tuent et brisent votre âme en pure perte. Oh ! si vous connaissiez la religion ! elle guérirait bien vite toutes vos plaies ; mais c’est cette guérison même que vous craignez. Quelle mort, dites-vous, après tant de vie ! Est-ce que ce mot ne vous effraie pas ? Appelez-vous donc vie un amour qui passe, et le sacrifice de vous-même à la créature ? Revenez, revenez, la vie n’est pas là. Ouvrez les yeux sur le néant de ce qui vous séduit. Ainsi donc, à vous entendre, l’obéissance au devoir, l’exercice de la vertu, les consolations de la foi, l’amour infini de Dieu, l’éternité et ses espérances, ses joies, sa félicité, tout cela, c’est la mort ! Non, vous ne l’avez jamais pensé ; c’est votre bouche seule qui a prononcé ces paroles que votre cœur désavoue. Je n’en doute pas, j’en suis certain, mais voyez de grâce si le sentiment qui vous aveugle à ce point peut être toléré, s’il peut être nourri volontairement. Je m’en rapporte à vous-même. La conduite de Dieu sur vous est admirable. Il vous a sauvée du plus grand danger où peut-être vous fussiez-vous trouvée encore, il vous en a sauvée malgré vous. Vous le reconnaîtrez plus tard. En attendant, croyez, ayez confiance, aimez le Dieu qui vous donne de si touchantes preuves d’amour. Rien ne vous paraîtra pénible quand vous aurez pour lui ce même amour qu’il a pour vous. Ne voulez-vous pas vous remettre tout entière en de si douces et si puissantes mains ?


Les choses finirent cependant par s’arranger mieux que ne