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et les brusques impulsions de ce caractère à la fois faible et emporté. La lettre suivante, qui précède de très peu de semaines la publication des Paroles d’un Croyant, montre que, chez Mme Cottu, l’attachement inébranlable n’enlevait rien à la clairvoyance, ni à l’indépendance du jugement.


Les nouvelles que vous me donnez de M. de Lamennais n’ont précédé que de deux jours celles qu’il s’est enfin déterminé à me donner lui-même. Il me confirme son prochain départ pour la Bretagne. J’ai hâte, comme vous, de le savoir à l’abri des agitations de tous genres qui, à Paris, torturent son esprit et usent son corps déjà si débile. Quelque désir que j’aie de le voir tenir au projet qu’il a formé de passer deux ou trois ans d’arrache-pied à la Chênaie, je suis persuadée qu’avant six mois la ville infernale l’attirera dans son gouffre. Puisse-t-elle ne l’y point engloutir. Puissent le calme et la raison affranchir un génie si sublime, une âme si élevée du joug des passions mauvaises qui cherchent à en faire leur proie ! Hélas ! depuis quinze ans, combien de fois ne l’ai-je pas vu tour à tour subjugué et désabusé, portant et dans ses illusions et dans la perte de ces illusions une ardeur de foi et une amertume de ressentimens l’une et l’autre extrêmes ! Aussitôt qu’il ploie ses ailes et qu’il marche sur la terre, cet homme si supérieur n’est plus qu’un faible enfant, plein de candeur et de gaucherie, qui ne sait comment se tirer de la vie commune à laquelle il paie un continuel et déplorable tribut d’inexpérience…


« La route dans laquelle il s’est engagé m’épouvante, écrit-elle l’année suivante. Il la parcourt et s’y enfonce avec une rapidité et une assurance dont je frémis. » Il était impossible qu’une affection aussi dévouée et aussi clairvoyante à la fois n’essayât pas de l’arrêter sur cette route. Il ressort des lettres mêmes de Lamennais que Mme Cottu fit plusieurs tentatives. Toujours elle fut repoussée par des phrases évasives. Rentrée en France au commencement de l’année 1837, elle eut avec Lamennais une conversation qui ne dut guère lui laisser d’espérance. Aussi n’ajouta-t-elle que peu de foi au bruit qui se répandit inopinément, quelques mois après la publication des Affaires de Rome, que Lamennais s’était rétracté et avait, pour la troisième fois, fait acte de soumission au Saint-Siège. L’émotion que lui causa cette nouvelle, si peu vraisemblable qu’elle lui parût, fut cependant si vive qu’elle écrivait à Benoist d’Azy :


Troublée comme vous et presque éperdue de joie dans le premier moment par cette nouvelle, que la réflexion n’a pas tardé à me faire juger bien improbable, je suis, comme vous aussi, réduite aux conjectures sur un sujet qui me touche si profondément. Depuis le premier départ de M. de