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incroyables récits, relations de prodiges, contes mystificateurs… A l’une des revues décadaires, disait-on, alors que le Consul descendait de cheval, un vieillard s’était approché, tenant en main une pétition. Bonaparte avait pris la requête, et soudain le Nestor l’avait frappé d’un coup de stylet. Mais, — Dieu protège la France ! — le stylet aussitôt s’était brisé sur l’habit vert de l’homme providentiel… On se confiait encore que d’autres meurtriers, inventeurs de machine infernale, s’étaient hissés un soir sur le toit de la Malmaison : ils voulaient introduire dans une cheminée l’engin chargé de balles et de mitraille. Mais, — Dieu protège la France ! — une averse miraculeuse avait mouillé leur poudre, et de nouveau sauvé la vie de Bonaparte… On prétendait enfin que la Garde était acquise à l’anarchie : quinze grenadiers s’étaient juré d’abattre, au cours d’une parade, leur Petit Caporal. Mais, — Dieu protège la France ! — pris de remords, les quinze félons s’étaient poignardés ou pendus… De pareils racontages, absurdes billevesées, se débitaient partout, et mettaient en émoi les préfets, nobles faiseurs de zèle, et leurs commissaires de police, ardens pourvoyeurs de cachots.

Une frénésie de délation agitait un peuple énervé ; les lettres dénonciatrices affluaient aux Tuileries. Plusieurs de ces billets ont été conservés, et nous confondent par leur extravagance. Ici, dans Seine-et-Oise, c’est « un citoyen, homme simple, mais vrai, » qui envoie une liste de soixante généraux disposés, prétend-il, à tenter « une révolution courte et bonne. » Là, c’est dans la Nièvre un « prêtre catholique » qui conjure Bonaparte de faire déporter Moreau, Brune, Jourdan, Masséna et Augereau. A Nantes, Poitiers, Tours, Auxerre, Dijon, Lille, Bruxelles, mêmes invitations à sévir. Le préfet du Bas-Rhin fait jouer le télégraphe pour conter des sornettes : « un habitant de Strasbourg a déclaré par écrit avoir entendu dire que le Premier Consul serait assassiné avant la fin du mois. » Dans la Haute-Marne, un « conseiller d’arrondissement, » — quelque ventier sans doute, — vaguant à travers bois, surprend dans une clairière un conciliabule de conspirateurs ; il se cache et observe ; il les suit et les file : ô terreur ! les coquins ont gagné la route de Paris !… Parfois cependant, la haine ou la colère fait injurieuses ces lettres anonymes : « Bonaparte, qu’as-tu besoin de récompense ? Ne te suffit-il pas d’avoir pu servir ta patrie ? » « Citoyen Napoléon, tu seras mort avant un mois ! Ne prends pas en mauvaise part ma