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Ainsi vivait, sinistre malandrin, le capitaine qu’avait entrepris le Tondu. D’autres fripons, atteints par la réforme, fréquentaient sans doute avec lui l’étonnant salon Belgrano. Cruauté de la faim ! Naguère, soldats sans peur, ils avaient affronté la mitraille, soutenu sans faiblir les charges de cavalerie, ou foncé, sabre au poing, sur les carrés de baïonnettes, et la mort cependant les avait épargnés ; mais l’impitoyable misère, en leur laissant la vie, avait eu raison de l’honneur.

Maintenant Antonio venait de conclure avec Coin-Clément un marché de bandit : il lui avait vendu un fier coup de stylet… « Garde-toi, Buonaparte, je me garde ! » Et le vendettatore regagna joyeux son hôtel. Des songes de volupté durent, pendant quelques nuits, enchanter son sommeil : le Consul abattu râlait à ses pieds ; la Fortune descendait par la lucarne de son galetas.

— Tout va bien ! dit-il à son aubergiste… Avant la fin du mois, j’aurai payé mes dettes[1].


IV. — CONTRETEMPS

Hélas ! ses rêves aux visions d’or se dissipèrent bien vite : on l’avait cruellement trompé.

Pour former son Brutus, Coin-Clément lui donnait de nombreux rendez-vous. Ils se rencontraient sur les terrasses du Luxembourg, et dans cette solitude propice, l’alter ego de Nicolas fabriquait un dernier Romain. Ses instructions étaient précises : « Au jour fixé pour l’exécution du tyran, vous revêtirez l’uniforme. Plusieurs de nos amis vous attendront au Carrousel, compagnons résolus, ayant épée au flanc et pistolet en poche. Dès que Bonaparte aura terminé sa revue, nous vous pousserons vers lui. Alors, vous présentez une pétition : il la prend, l’examine, et vous lui enfoncez un poignard dans le ventre. Le reste nous regarde !… Est-ce compris ? » — « Compris !… Mais l’argent ? » — « Ah ! oui, l’argent ! Vous en recevrez bientôt : Nicolas doit en rapporter… » A vrai dire, Nicolas ne se hâtait guère de reparaître ; Boisvallon n’ouvrait pas volontiers sa caisse ; les fonds versés par l’ami Fauche procuraient surtout

  1. Bulletins de police.