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le tombeau du saint, et l’on vénère encore quelques reliques. De ce qui fut l’ermitage, la « maison » du héros, il ne reste rien. Mais l’église paroissiale est environnée des ruines d’une abbaye, et l’on sait que, du IXe au XVIIIe siècle il y eut dans la région des Bénédictins. Deux monastères très anciens et voisins, celui d’Aniane, fondé par saint Benoît, le réformateur de l’ordre, et celui de Gellone ou de Saint-Guilhem, fondé par Guillaume, tous deux riches en documens, nous ont laissé des renseignemens curieux sur la personne du guerrier devenu moine que célèbrent les poèmes épiques. L’auteur de la Vie de saint Benoit[1]raconte qu’un personnage illustre entre tous à la cour de l’Empereur, le comte Guillaume, s’attacha à saint Benoît d’une amitié si forte que, prenant en mépris les dignités mondaines, il choisit son ami pour le guider dans la route salutaire qui le conduirait au Christ. Revêtu de riches vêtemens, il vint rejoindre le vénérable Benoît, il fit tondre aussitôt sa chevelure, et le jour des apôtres Pierre et Paul, dépouillant ses habits tissés d’or, il prit avec joie la vêture des serviteurs du Christ. Or, ajoute le chroniqueur, à quatre milles environ du monastère habité par le bienheureux Benoît, s’étend une vallée nommée Gellone, et tellement séparée du monde, que celui qui l’habite, s’il aime la solitude, n’a rien à souhaiter. C’est là que le nouveau venu fit construire sa cella ; il y planta des vignes, disposa des jardins peuplés d’arbres très variés, et s’y abandonna au Christ, sans plus garder aucun vestige de sa grandeur mondaine. La Vie de saint Guillaume, composée au XIIe siècle par les moines de Gellone, contient un récit différent par le détail, mais analogue pour l’ensemble[2]. Elle rapporte en outre quelque chose des exploits accomplis par le héros. Le chroniqueur n’a pas voulu se contenter de la vie de Guillaume sous le froc ; il parle des

  1. La Vie de saint Benoit d’Aniane a été composée en 823 par un de ses disciples Ardon. Le passage relatif à Guillaume a été, comme le fait remarquer M. Bédier, ajouté plus tard, probablement au XIe siècle, à l’époque où les moines d’Aniane s’occupaient de prouver qu’ils étaient plus anciens que ceux de Gellone. Tout l’art était de montrer, même à l’aide de documens faux selon l’usage du temps, que Gellone était une dépendance d’Aniane. C’est à quoi les moines de Gellone répondirent par la Vie de saint Guillaume.
  2. La Vie de saint Guillaume réplique au document d’Aniane ci-dessus indiqué en faisant le même récit, mais en supprimant tout ce qui peut montrer Guillaume comme dépendant d’Aniane. De là son importance. Il est remarquable que, dans un récit d’un très grand sérieux, puisqu’il s’agissait de leur suprématie, les moines aient pris à leur compte et authentiqué les récits de bataille, d’ailleurs imaginaires, faits par des chansons de geste.